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roi, il n’a pas la ressource d’essayer une couronne dans ses momens d’incertitude, il n’est pas obligé de se vêtir à l’occasion de velours et d’hermine, ce qui aide les princes à se persuader de la réalité des choses ; comment y parviendrait-il, lui qui ne porte que l’habit de tout le monde, qui ne se sent pas le droit de couper les têtes à son gré, qui n’a pas le moindre donjon sous la main ? Peut-être comprend-il qu’il nous en impose et est-il un peu honteux de lui-même. Je me demande s’il n’est pas poursuivi par un fantôme désagréable qui persiste à lui rappeler le jour où il ne sera plus qu’un ex-président abject et où nous le plaindrons quand nous ne le condamnerons pas. Traîné au Capitole dans le char triomphal du nouveau-venu, il saura qu’il est éveillé de son rêve et il appellera peut-être ce rêve un cauchemar, avec une certaine satisfaction qu’il soit passé.

Ailleurs, nous tombons d’une belle scène d’amour, d’une situation palpitante d’intérêt, à quelque tableau de l’élection présidentielle. L’auteur nous montre comment, pendant la campagne électorale, tel candidat est traîné dans la boue, voit ses mœurs attaquées, son honneur flétri, ses capacités absolument niées, tous les événemens de son passé politique et privé, livrés à la dérision publique. Sur lui les avis sont singulièrement partagés. Les uns soutiennent que son éducation a été négligée au point qu’à sa majorité il ne savait pas lire, et les autres qu’il comprenait le grec dès l’âge de quatre ans ; ceux-ci qu’il est un faussaire et un bandit, ceux-là qu’il est un modèle de vertu et de probité ; beaucoup d’autres faits contradictoires sont prouvés d’une manière indiscutable au grand amusement de la foule. Puis après l’élection, il semble tout à coup que ce personnage tant discuté n’ait jamais eu d’histoire, tant son histoire importe peu ; il a devant lui un espace de quatre ans qu’il faut utiliser… Après cela, le déluge. Ses adversaires se vantent de la justesse de leurs pronostics touchant une nullité qui se montre en toutes choses ; ses partisans l’admonestent avec douceur, quand ils ne crient pas à l’ingratitude, leurs services n’étant jamais suffisamment récompensés. Le président est en face d’une agréable alternative ; celle de passer pour un renégat ou pour un vendu. Le salut du pays n’est censé possible qu’à la condition qu’il procure des places à tous ceux qui en briguent. S’agit-il de former un cabinet ? On l’avertit qu’il ne se rendra le Sud favorable qu’en choisissant A.., que le Nord ne lui pardonnera jamais de ne pas élire B.., que pour balayer l’Ouest il faut D.., que pour unir le pays tout entier E… serait indispensable. Les circonstances lui ayant fait appeler G… au ministère, les prophéties recommencent sur la chute inévitable du gouvernement et la perte infaillible du pays tout entier ; mais, après