Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/449

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

accueillante, elle sert d’hameçon sans jamais se douter du rôle qu’on lui fait jouer jusqu’au jour où, chargée de remettre gentiment à un sénateur certain petit billet qu’elle croit sans conséquence, elle s’aperçoit qu’il s’agit d’argent, à l’indignation de cet honnête homme, — car il y a des sénateurs parfaitement honnêtes ; même la grosse difficulté est là. Si tous pouvaient être à vendre ou si aucun ne l’était, si les choses, en un mot, devenaient meilleures ou pires, le système se trouverait considérablement simplifié. La sottise, au point où en est l’Amérique, serait de croire, comme le font quelques-uns, qu’un grand pays puisse être dirigé exclusivement par des voleurs. Les voleurs ne manquent pas, sans doute, mais il y a auprès d’eux, comme partout, de braves gens pour les prendre à la gorge.

Voilà ce que Mrs Burnett paraît avoir à cœur de prouver ; elle s’efforce aussi de mettre en lumière les mauvais côtés du service civil aux États-Unis. Chaque élection nouvelle expose les gens en place à des catastrophes. Un fonctionnaire, petit ou grand, perd sa place non pas parce qu’il a démérité, mais parce que quelqu’un a besoin de cette place, quelqu’un qui ne se recommande que par son attachement au parti élu. Et à son tour celui-là passera par la même épreuve quand ce parti aura le dessous ; on le verra errer, comme l’a fait son devancier, en quête d’une place, plus pauvre, plus désespéré de jour en jour jusqu’à ce qu’il disparaisse de l’horizon une bonne fois. Peut-être nourrissait-il de son salaire une famille nombreuse, réduite avec lui à la misère. Qu’importe ? En admettant qu’une nouvelle administration, en se reformant, le rappelle plus tard, il n’aura pas lieu de s’en féliciter, car ce ne sera que pour quatre années, après tout, quatre années perdues comme les précédentes, avec toutes les chances de fortune qu’elles auraient pu lui offrir s’il avait su les employer autrement. Mais il est temps d’en venir à l’intrigue même du roman. Comme dans tous les ouvrages de cette espèce, on sent parfois un peu trop qu’elle a principalement pour but de servir de lien et de prétexte à la discussion de sujets sérieux insuffisamment traités, encore qu’ils le soient avec trop de longueurs. Ceux qui cherchent un roman pur et simple trouvent que l’administration est bien envahissante ; ceux qui voudraient se renseigner sur l’administration sont d’avis que le roman tient trop de place. Personne n’est complètement satisfait ; c’est la condamnation du genre.

Huit années avant l’administration qu’aucun nom, aucune date ne désigne d’ailleurs, un jeune officier sorti de West-Point, Philip Tredennis, est venu à Washington faire une visite à des parens éloignés, — une visite d’adieu, car il va quitter le monde civilisé pour une station militaire de l’ouest. Le dernier souvenir