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Nous espérons que la future Mrs Burnett n’eut jamais à souffrir même une faible partie de ce que souffrit sa jeune héroïne jusqu’à ce que le gentleman indien vînt, en la retirant de pension, réaliser tous ses rêves les plus ambitieux et faire d’elle, à la fin, une vraie petite princesse ; il y a cependant entre Frances et Sarah des traits de ressemblance. Quand la première enseignait, presque enfant elle-même, à d’autres enfans, dans une petite école, elle avait l’habitude de se promener dans les bois, les jours de congé, au bras d’une sœur qu’elle chérissait tout particulièrement, en lui racontant des histoires.

— Il faut les écrire ! dit un jour la sœur enthousiasmée.

Cette idée lui sourit ; elle se mit à l’œuvre sur-le-champ, et sa vocation fut décidée.

Les éditeurs ne se trouvèrent pas tout de suite, elle n’obtint que difficilement l’accès de quelques journaux ; mais la plume capable d’écrire That Lass o’ Lowrie’s ne pouvait rester longtemps obscure et, si jeune que soit encore M" Burnett, il y a onze ans que son nom est connu, Grace à ce roman si simple et si fort.


I

Ce qui rend That Lass o’ Lowrie’s d’une lecture un peu ardue pour les Anglais eux-mêmes, c’est, comme nous l’avons déjà dit, l’emploi presque continu d’un dialecte local, celui du Lancashire : du reste, si un sujet de roman justifia jamais l’abus du patois, c’est bien celui-ci, qui nous transporte au milieu de la population des houillères de Riggan, dans un cadre qui vaut, pour la rudesse, celui de Germinal. Voici l’entrée en matière :

« Elles n’avaient pas l’air de femmes, ou du moins un étranger nouvellement arrivé dans le district aurait été facilement trompé par leur apparence, tandis qu’elles se tenaient réunies en groupe à l’entrée du puits. Il y en avait environ une douzaine, toutes des charbonnières, des femmes qui portaient un costume plus qu’à demi masculin et qui parlaient haut, et qui riaient d’un rire discordant, et dont quelques-unes avaient, Dieu le sait, un visage aussi dur et aussi brutal que les plus rudes parmi les ouvriers, leurs frères, leurs maris, leurs amans. Comment s’étonner qu’elles eussent perdu jusqu’à l’ombre de la modestie et de la douceur féminines ? Elles avaient vécu toute leur vie à la gueule des puits ; leurs mères avaient été des pit-girls comme elles-mêmes, et leurs grand’mères aussi ; elles étaient nées dans des taudis misérables, elles avaient été mal nourries, écrasées de travail ; elles avaient respiré la poussière et la crasse de la houille, qui, de quelque façon, semblaient s’être attachées à toute leur personne, se révélant dans leur