Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/407

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au lieu de la quarte. Il se mit en défense et riposta sur toute la ligne ; mais l’effet était produit ; et le succès, comme il arrive toujours, étouffa ces voix discordantes. Sur bien des points les contradicteurs avaient raison, et la postérité leur a donné raison ; mais après tout le livre triompha. Toute l’Europe le lut et le traduisit. Les femmes pleurèrent ; les politiques l’appuyèrent comme d’accord avec leurs vues. La littérature surtout salua une langue nouvelle et un éclat d’imagination que le XVIIIe siècle n’avait pas connus. Que reste-t-il aujourd’hui et du livre et des critiques ?


II

Chateaubriand, au moment de la publication du Génie du christianisme, était déjà célèbre. Il avait détaché auparavant de son grand livre un épisode romanesque qui devait en faire partie : c’était l’épisode d’Atala. Le succès avait été soudain et prodigieux, On ne nommait plus Chateaubriand que du nom « d’auteur d’Atala. » Le Génie du christianisme eut le même succès. Il y en eut en deux ans sept éditions, et sept éditions véritables ; car on n’avait pas encore inventé le procédé moderne qui fait aujourd’hui que, le jour même de l’apparition d’un livre, on en est au vingt-quatrième mille. Ce qui prouvait surtout l’importance de l’événement, ce fut le nombre des articles qu’il suscita et la célébrité des écrivains qui s’en occupèrent[1].

Outre ces critiques, l’œuvre de Chateaubriand lut l’objet d’une sorte d’enquête remarquable, qui, fort à l’honneur de Chateaubriand, rappelle quelque peu le procès du Cid.

L’Académie française, ayant eu à décerner, sous le consulat, les prix décennaux, avait tout simplement exclu les deux livres les plus remarquables publiés dans cette période. Ce n’étaient rien moins que le Cours de littérature de La Harpe et le Génie du christianisme. « Bonaparte fut, dit-on, étonné de cette double omission. Il trouva piquant de donner un pensum à l’Académie et d’en exiger, pour punition de sa réticence, deux volumineux appendices à son volumineux plaidoyer. On bouda un peu ; mais l’ouvrage se fit (Sainte-Beuve). » L’Académie, ou la Classe des Lettres, nomma une commission composée de : le comte Daru, rapporteur ;

  1. Voici les principaux de ces articles : Fontanes, Mercure, 25 germinal an X ; — Dussaulx, Journal des Débats, 20 floréal an X ; — Anonyme, Journal des Débats, 4 prairial an X ; — Anonyme, Gazette de France, 16 floréal an XI ; — Ginguené, trois articles dans la Décade philosophique et littéraire, n° 27, 28, 29, an X ; — Chênedollé, Mercure, ventôse an XI ; — Guéneau, Mercure, 4 thermidor an XI ; — Abbé de Boulogne, Annales littéraires, 1er cahier an XI ; — Delalot, Mercure, 17 messidor an XIII.