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pas, nous devons le dire, une question malveillante née du scepticisme pessimiste à la mode, qui ne croit à la sincérité de personne, ou de ce fanatisme stupide qui ne voit que de l’hypocrisie dans toute croyance religieuse. Non ; la question est plus sérieuse, et elle semble autorisée par les faits. On sait en effet, par les aveux mêmes de Chateaubriand, qu’il n’a pas toujours été chrétien. « Mes sentimens religieux, dit-il, n’ont pas toujours été ce qu’ils sont aujourd’hui. Je suis tombé jadis dans les déclamations et les sophismes. » Cet aveu se rapporte aux années antérieures à la révolution. Chateaubriand était entré dans le monde par la société des philosophes, et il avait participé à toutes leurs opinions. Mais, comme le fait remarquer Sainte-Beuve dans ce livre si malicieux et si fouillé, intitulé : Chateaubriand et son groupe littéraire, ce mot jadis est-il suffisamment exact ? Il semble indiquer naturellement une période assez éloignée ; mais, au moment où Chateaubriand écrivait, y avait-il donc si longtemps qu’il avait renoncé à ce qu’il appelle les sophismes et les déclamations ? Non, sans doute. Les malheurs de la révolution, dans laquelle il perdit une partie de sa famille, ses propres épreuves n’avaient pas modifié ses idées. Nous en avons la preuve dans son premier ouvrage publié à Londres en 1797, peu connu en France, où il n’avait pas pénétré, l’Essai sur les révolutions. Cet ouvrage était encore plein de la philosophie du XVIIIe siècle et oscillait entre le déisme et l’athéisme. Bien plus ; Sainte-Beuve, qui a serré de près cette question, a eu entre les mains un exemplaire rarissime de l’Essai sur les révolutions qui avait appartenu à Chateaubriand et où le texte est accompagné de notes marginales manuscrites qui ne peuvent pas être, dit Sainte-Beuve, plus anciennes que 1798. Or nous savons pertinemment, d’un autre côté, par une lettre à Fontanes découverte et publiée par Sainte-Beuve, qu’en octobre 1799 une partie du Génie du christianisme était déjà écrite. Il y a donc eu tout au plus une année de distance, chez Chateaubriand, entre l’incrédulité et la foi. Nous voilà bien loin du jadis avoué par l’auteur. Maintenant, que s’est-il passé entre les deux dates ? Comment Chateaubriand, incrédule en 1798, était-il chrétien en 1799 ? Nous l’expliquerons tout à l’heure. Rappelons d’abord les notes si curieuses recueillies par Sainte-Beuve sur le volume qu’il appelle « l’exemplaire confidentiel. » Il y trouve la preuve qu’à cette époque Chateaubriand ne croyait ni à Dieu, ni à l’immortalité de l’âme, ni au christianisme. Dans le texte imprimé, Chateaubriand avait dit : « Dieu, la matière, la fatalité ne font qu’un. » À ces mots, il ajoutait en note dans son exemplaire : « Voilà mon système ; voilà ce que je crois. Oui, tout est chance, hasard, fatalité dans le monde… Il y a peut-être un dieu ;