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s’éteignait dans la mollesse, dans la licence, dans l’indifférence, dans l’impiété. Elle a retrouvé une jeunesse nouvelle ; et ceux mêmes qui n’ont pas la foi se félicitent qu’au début de ce siècle, un grand mouvement chrétien se soit opéré et ait apporté sa pierre à la construction de l’édifice philosophique auquel tous travaillent, chacun de son côté. Cependant, il faut le dire, l’école de philosophie catholique dont nous parlons est, comme ce siècle lui-même, une œuvre un peu mêlée, un peu confuse, un peu disparate : ce n’est pas le pur mouvement chrétien du XVIIe siècle. Ce n’est pas la foi d’un Bossuet, d’un Pascal ou d’un Fénelon qui anime les maîtres de cette école. Il y a bien des élémens dans ce néo-catholicisme. Essayons d’en déterminer les principaux caractères, les mérites et les défauts.

L’un des traits dominans de cette école est d’abord que la politique s’y mêle à la philosophie et à la théologie, et bien souvent même les efface et les domine. Cette philosophie est avant tout une réaction contre la Révolution, une revanche d’ancien régime. La foi n’y est pas toujours très pure ni très solide. Le brillant et fougueux Piémontais qui a ressuscité en Europe et introduit en France l’ultramontanisme, Joseph de Maistre, quand il écrit à sa fille les lettres charmantes que l’on connaît, parle en père, en sage, en mondain, rarement en chrétien. Quant à l’abbé de Lamennais, si sa foi a été violente, on sait aussi à quel point elle était fragile. La foi de M. de Chateaubriand a été aussi souvent mise en doute, comme nous le verrons ; en tout cas, elle était plus brillante que solide, et elle n’excluait pas certaines libertés de mœurs. Pour tous ces nouveaux apôtres, la religion était plutôt une arme pour attaquer qu’un trésor intérieur dont on jouit pour soi-même. Vous direz que les laïques, en parlant ainsi, sont bien difficiles ; où est leur droit d’y regarder de si près ? Nous répondons que c’est le droit de ceux que l’on veut convertir de scruter les consciences de leurs convertisseurs ; et sans rien vouloir exagérer, nous croyons être dans le vrai en disant que ces brillans polémistes étaient bien loin, pour la candeur de la foi, de François de Sales, de Bossuet et de Fénelon.

Un autre caractère qui tient au précédent, c’est le manque de théologie. La plupart de ces écrivains étaient des laïques, des gens du monde, non des prêtres ; seul Lamennais fait exception ; mais il entra tard dans l’église et n’y resta pas longtemps. Chateaubriand, de Maistre et Bonald étaient des lettrés, de petits gentilshommes, des émigrés. Peu instruits, si ce n’est d’une érudition curieuse et rapide acquise en courant, ignorant les pères de l’Église, les Écritures, la philosophie chrétienne, nourris de leur siècle beaucoup