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moment, s’engager dans cette voie et devait attendre le vote successif des deux chambres. »

Son bon vouloir ne s’en tenait d’ailleurs pas là, et, dès le début de la session, le sénateur Platt déposait sur le bureau du sénat un projet de bill conforme à ses vues. Le même jour, on renvoyait ce projet à l’examen du bureau des brevets, et le président du sénat, l’honorable M. Morton, qui a emporté de France, comme il y a laissé, au terme de sa carrière diplomatique, les plus vives sympathies, témoignait de ses meilleures dispositions et prévoyait un vote favorable, le sénat ne pouvant se déjuger après l’approbation donnée par lui au bill Chace.

« On ne saurait, ajoutait le New-York World, s’arrêter en si bon chemin. La presse américaine a manifesté ses sympathies évidentes pour une cause aussi, juste qu’honorable et dont le, succès est appelé à avoir une grande importance, pour notre propre littérature et pour nos arts, il faut que la presse, comme l’American Copyright League, secondées par l’opinion publique, poursuivent leur campagne de propagande auprès de la chambre des députés, qui, pendant la dernière session, s’est montrée favorable en majorité et n’a été arrêtée que par une monstrueuse obstruction. Le nouveau speaker, M. Reed, a d’ailleurs manifesté la louable intention de mettre un terme à de pareils procédés, tyranniques pour la majorité. Les États-Unis sont au premier rang des nations civilisées, ils ne peuvent volontairement se mettre au dernier au point de vue de la probité nationale. De plus, les auteurs et artistes américains réclament, à leur tour d’un gouvernement protectionniste la protection qui assure la rémunération convenable de leurs propres œuvres, rémunération qu’ils ne sauraient obtenir aujourd’hui où on leur oppose que les œuvres étrangères ne coûtent rien comme droits de reproduction. »

Pour être plus direct, ce dernier argument n’est pas celui qui porte le moins. En dehors de toute considération de probité nationale et privée, il est évident qu’aussi longtemps que certains éditeurs américains pourront, sans bourse délier, s’approprier les romans anglais, faire leur choix dans les romans français, salarier des traducteurs au lieu de rémunérer des auteurs, ils auront avantage à puiser dans ce fonds riche et varié. Ils se soucieront peu de courir les risques d’éditer le roman d’un de leurs compatriotes, roman pour lequel ils auront à débourser une somme assez forte et dont le succès est incertain, alors qu’ils peuvent reproduire l’œuvre d’un écrivain en renom dont la presse s’occupe et dont le débit est sûr. En outre, la tentation est grande de choisir, parmi tant d’œuvres, celles qui, flattant les plus basses passions ou