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sénateurs sur quarante-quatre présens adoptent l’amendement. Il ne restait plus qu’à obtenir l’assentiment de la chambre. Elle ne le refusa pas, mais ne le donna pas. Écarté, par une tactique parlementaire, de l’ordre du jour pendant la session d’été, repris pendant la session d’hiver, l’amendement échouait devant une manœuvre d’obstruction, un membre hostile retardant, à chaque reprise, le scrutin en exigeant indéfiniment l’appel du rôle. La session s’acheva sans que l’on eût pu procéder au vote ; le terrain gagné était reperdu et tout était à refaire.

Chose curieuse, le bill échouait, suivant les uns, parce qu’il était trop libéral ; suivant les autres, parce qu’il ne l’était pas assez ; de l’avis de tous, par suite de l’opposition des éditeurs britanniques, qui redoutaient que l’adoption de l’amendement n’eût pour conséquence de déterminer nombre d’auteurs anglais à se iaire imprimer aux États-Unis pour bénéficier des dispositions de la loi nouvelle. Elle exigeait en effet que, vu la similitude des langues, le livre fût composé et imprimé aux États-Unis ; elle édictait une interdiction presque absolue, aussi longtemps que durerait le droit privatif de l’auteur, d’importer d’Angleterre des exemplaires de son œuvre. C’était le marché des États-Unis fermé aux libraires britanniques et l’impression des ouvrages anglais destinés au public américain transférée de Londres aux États-Unis.

Dû à ces causes diverses, l’échec du bill Chace n’en mettait pas moins en évidence le fait que les adversaires du principe de protection, réduits à abandonner la défense d’une cause perdue, se cantonnaient dans une opposition de formes dont on finirait bien par avoir raison. Leur nombre, d’ailleurs, décroissait visiblement, et la figue n’avait plus guère en face d’elle que les représentans des États de l’Ouest, où les questions d’ordre purement intellectuel sont encore peu en faveur et où la propriété littéraire compte le moins d’adhérens.


III.


Les choses en étaient là quand l’élection présidentielle de 1888 donna la victoire au parti républicain, remplaça M. Cleveland par M. Harrison et M. Bayard par M. Blaine. C’était un changement de personnes, ce pouvait être un changement de vues quant à la question de la protection littéraire, le parti victorieux se proclamant résolument protectionniste. C’est alors que M. de Kératry accepta la mission que lui offraient et la Société des gens de lettres et le Syndicat de la propriété littéraire et artistique, mission ayant pour but d’agir en leur nom auprès du gouvernement des États-Unis