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On s’y conforma si bien, que les auteurs anglais outrageusement dépouillés essayèrent de résister. Deux d’entre eux, et non des moins connus, tentèrent l’aventure, se plaçant l’un et l’autre sur le même terrain, le seul que la loi leur laissât. Elle assimilait l’auteur américain et le résident ; sur ce, le capitaine Marryat, qui avait vendu à une maison américaine, MM. Carey et Hart, l’un de ses ouvrages les plus populaires, intenta un procès à une maison rivale qui reproduisait son livre. Il arguait qu’il avait passé un temps considérable aux États-Unis et, qu’ayant longuement résidé à Philadelphie, il rentrait dans la catégorie prévue par la loi et était, en fait, résident. Le juge ne voulut rien entendre, et il perdit son procès.

Plus heureux, M. Dion Boucicault, acteur et auteur dramatique, gagna le sien. On voulut bien admettre qu’ayant habité les États-Unis de 1853 à 1861, y ayant écrit et fait représenter ses pièces, on pouvait le tenir pour résident. À ce titre, ses contrefacteurs furent condamnés à lui payer 900 dollars (4,500 fr.), ce qui fut loin de couvrir ses frais. Ces deux exemples n’étaient guère encourageans, et les auteurs anglais se le tinrent pour dit.

Ce n’était pas qu’on se fît faute de remanier la législation ; mais le principe restait immuable, les modifications successivement introduites en 1834, 1846, 1856, 1859 et notamment en 1870, 1873 et 1874 ne portant que sur des questions d’enregistrement, de formalités bureaucratiques, et respectant scrupuleusement le droit, ou mieux, l’invitation à s’approprier le bien d’autrui. Cependant les mœurs et les idées se modifiaient. Depuis la guerre de sécession, le libre échange n’était plus en faveur aux États-Unis ; les Américains étaient devenus protectionnistes aussi fervens qu’ils avaient été fervens libre-échangistes. On s’enrichissait ; les grandes fortunes naissaient ; avec elles le luxe, les loisirs, le goût des choses intellectuelles. Une génération nouvelle entrait en scène, tenant la littérature en estime, l’art en bon renom. La vogue était aux écrivains, et le public féminin, passionné pour les œuvres d’imagination, encourageait, prônait les talens naissans. Ils étaient nombreux et variés, parfois originaux, pleins de sève et d’ardeur. Les débuts promettaient ce qu’ils ont tenu depuis : de dignes successeurs aux quelques grands écrivains que possédait déjà l’Amérique. Des revues spéciales suivaient et encourageaient ce mouvement, que nul n’a plus contribué à propager que ne le fit le Critic, organe attitré de la littérature américaine, intelligent appréciateur des littérateurs et des artistes étrangers, dont il a énergiquement soutenu les droits et défendu la cause.

Les grandes maisons de librairie, les Houghton, Mifflin, de Boston ; les Harpers, de New-York ; les Bancroft, les Cassel, les