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maîtres anciens, ainsi que des plus belles publications modernes faites en Europe. Elles sont tirées sur le même papier, avec la même encre que les originaux. »

Suivaient l’indication des prix, qui ne laissaient rien à désirer comme bon marché, et celle des œuvres contrefaites, qui ne laissaient rien à désirer comme choix. C’étaient l’Angélus de Millet, le Christ devant Pilate de Munckacsy, la Ronde de nuit de Rembrandt. Cette dernière, éditée par la maison Goupil et Cie à un nombre limité d’épreuves, et dont la planche coûtait 100,000 francs, était d’un prix élevé, certains états se vendant jusqu’à 2,500 francs. Les contrefaçons américaines s’écoulaient à un dollar, 5 francs[1].

Pour les livres, il en va de même. La vente est plus courante et plus grand aussi le profit. Quand lord Beaconsfield eut terminé son roman d’Endymion, il céda le manuscrit à un éditeur de Londres au prix de 10,000 livres sterling (250,000 fr.). Ce dernier comptait sur une vente considérable, aussi bien aux États-Unis qu’en Angleterre, mais il comptait sans l’ingéniosité yankee. Un éditeur américain était au courant de l’affaire : il soudoya un ouvrier employé à l’imprimerie et, par lui, obtint les bonnes feuilles du livre. Un navire attendait sous vapeur avec une équipe de compositeurs ; quand il entrait à New-York les formes étaient prêtes, on n’eut plus qu’à rouler, et, au moment où Endymion paraissait à Londres, on le vendait déjà aux États-Unis à un prix très inférieur à celui de l’édition anglaise grevée des 250,000 francs payés à l’auteur. Endymion eut un grand succès et cette annexion littéraire rapporta une fortune au peu scrupuleux Yankee.

Le roman de Ryder Haggard, She, parut simultanément à Londres et en Amérique sans que l’éditeur anglais pût se rendre compte du procédé employé. Ce fut probablement le même qui, quelque temps, dérouta MM. Black, d’Édimbourg. Eux non plus ne s’expliquaient pas comment la maison Stoddart et Cie, de Philadelphie, pouvait publier, le jour même où les fascicules paraissaient à Londres, leur Encyclopedia Britannica. Une enquête éclaircit le mystère. Au moment où ils commençaient cette publication, ils avaient accepté les ofïresde service d’un nommé Henderson Monro, habile ouvrier typographe américain. Monro avait accès dans la partie de l’atelier où s’effectuaient les corrections d’épreuves et il envoyait régulièrement à la maison Stoddart les feuilles ayant servi à ces corrections et mises au rebut.

Depuis, on a fait des progrès qui permettent de renoncer à ces procédés compliqués, coûteux et compromettans. Grâce à des machines spéciales et à un outillage perfectionné, on est arrivé, aux

  1. De la contrefaçon des œuvres d’art ; Boussod, Valadon et Cie.