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degré de refroidissement très considérable, on parviendrait à réduire le gaz muriatique à l’état de solide ou de liquide. »

Les conceptions sur la constitution de l’air, que Lavoisier exprimait sous une forme si frappante, ne lui étaient pas purement personnelles, comme on pourrait le croire en se bornant à lire ses Œuvres : elles étaient déjà entrevues par plus d’un savant. Vingt ans auparavant, Boerhaave disait, presque dans les mêmes termes que le vieil alchimiste grec Olympiodore : « Le feu est la source du premier mouvement. » Il le regarde comme la cause de la fluidité des autres corps, de l’air et de l’eau, par exemple, et il ajoute que toute l’atmosphère serait réduite en un corps solide par la privation du feu. Macquer développe aussi les mêmes idées : « La difficulté de nous procurer un froid suffisant, dit-il, est peut-être la seule cause pour laquelle nous n’avons jamais vu d’air solide. » La netteté de ces idées contraste avec les chimères que des chimistes du plus haut mérite, mais imbus des préjugés de l’école et peu au courant des théories des physiciens, continuaient à se faire, à la même époque, sur la chaleur et sur la constitution des gaz.

C’est ainsi que Scheele regardait la chaleur comme une combinaison d’air fixe (acide carbonique), surchargé de phlogistique ; tandis que l’oxygène était pour lui de l’air fixe dulcifié par le phlogistique. La confusion entre les matières douées de pesanteur et celles qui en sont destituées est ici complète. « La chaleur, disait encore Scheele, unie avec très peu de phlogistique, devient lumière ; si on l’en surcharge, elle devient air inflammable, » c’est-à-dire hydrogène, etc.

Le ferme esprit de Lavoisier lui-même n’est pas exempt d’un côté romanesque, quand il cherche à trop approfondir ces questions. Non-seulement il s’attache d’une façon absolue à la matérialité de la chaleur ; mais il suppose encore, en 1777, qu’il existe des fluides plus subtils que les gaz, moins que le calorique, capables de pénétrer les pores de certaines substances avec plus ou moins de facilité : tels seraient, à ses yeux, les fluides magnétiques et électriques. Il attribuait alors l’existence de l’aurore boréale et des météores ignés à l’existence et à l’inflammation locale d’une couche d’hydrogène, que sa légèreté spécifique aurait fait monter dans les régions élevées de l’atmosphère. Au-dessus de cette couche, il existerait encore une couche plus ténue, constituée par le fluide électrique, etc. La notion si claire et si précise des gaz pesans et coercibles finissait ainsi par se dissoudre, en quelque sorte, on une série d’intermédiaires hypothétiques, qui se confondaient peu à peu avec la notion extrême et plus obscure des fluides impondérables.