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république ; que la France ne trouvera plus d’alliés, après un si funeste exemple ; mais quand il s’agit de chercher un moyen de lui venir en aide, soit défaillance, soit difficulté de s’entendre, le temps se passe et on ne fait rien. »

On peut bien juger que dans ces réunions du conseil, à la fois si agitées et si impuissantes, celui qui se sentait le plus mal à l’aise était le ministre qui, après avoir battu des mains à l’avènement du nouveau roi d’Espagne, se trouvait, en fait, si mal payé de ses complimens. Sa confusion était grande, d’autant plus qu’il apprenait en même temps des démarches et une négociation suspecte de la part du ministre d’Angleterre à Lisbonne. — « Que se passe-t-il donc ? écrivait-il tout ému à Vauréal. Le roi Ferdinand, si bon, si sage, si bien né, se prêterait-il à la proposition de rendre le mal pour le bien ? Veut-on renoncer à tout en Italie, aussi bien pour Philippe que pour le roi de Naples ? N’y a-t-il donc pas de milieu entre l’ambition et le renoncement absolu ? » — « J’ai trouvé (écrivait Chambrier, l’envoyé de Frédéric à Versailles) ce ministre fort battu de l’oiseau, de la mauvaise tournure des affaires d’Italie : j’ai fait de mon mieux pour le ranimer et lui remettre le cœur au ventre, en évitant cependant qu’il me rétorquât que le meilleur remède serait que Votre Majesté aidât la France à se tirer d’affaire. » À quoi Frédéric ne manquait pas de répondre : « Saisissez cette occasion pour faire remarquer comment la France traite ses alliés[1]. »

Encore, si en retour du bon accueil fait par lui au nouveau règne, d’Argenson s’était acquis à Madrid une faveur personnelle qui lui permît de faire entendre des conseils ; mais c’était l’opposé, une complication de famille assez grave aigrissait les premiers rapports de Ferdinand VI et de Louis XV, et d’Argenson qui, par un instinct de prudence, avait évité d’abord de s’y compromettre, s’y laissait au contraire engager de plus en plus de manière à se trouver compris dans la mauvaise humeur qu’en devait concevoir et garder le jeune roi d’Espagne. C’est ce que j’ai maintenant à raconter.


Duc DE BROGLIE.

  1. Tron, ambassadeur de Venise à Paris, 12 septembre 1746. D’Argenson à Vauréal, 12 août, 2 septembre 1746. — (Correspondance d’Espagne.) — Chambrier à Frédéric, Frédéric à Chambrier, 27 septembre 1740. — (Ministère des affaires étrangères.)