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avait surtout une grande importance pour les Espagnols, parce que c’était le point par où l’infant Charles qui régnait à Naples (bien qu’obligé par la surveillance des croisières anglaises à une neutralité prudente) faisait passer sous main à son frère des munitions et des vivres. Ce fut pourtant l’infant Philippe lui-même, qui eut bien le courage de venir présider au départ de la garnison qui occupait la citadelle, et quand une députation du Sénat se jeta à ses pieds en le suppliant de prendre pitié des victimes qui allaient être sacrifiées pour lui : « N’ayez pas peur, dit-il, en les regardant à peine : c’est un moment à passer, ce ne sera rien. » — « Nous remercions votre altesse, répondirent les députés en se relevant, de ne pas désespérer de la République. » Il ne restait plus qu’à attendre et à accepter sans murmurer les conditions du vainqueur[1].

Elles furent impitoyables : les généraux autrichiens connaissaient leur souveraine et savaient que parmi ses rares qualités ne figurait pas l’oubli des injures. Ils ne négligèrent rien pour satisfaire d’avance ses ressentimens. Les portes de la ville durent être occupées par les troupes autrichiennes et toutes les places fortes de la république durent leur être livrées ; toutes les troupes furent désarmées et traitées comme prisonnières de guerre, une contribution de 24 millions de florins fut exigée indépendamment d’une large distribution d’argent faite sur place à l’armée victorieuse. Encore ces conditions n’étaient-elles que provisoires, le doge et six sénateurs s’engagèrent à aller, dans le délai de deux mois, en demander à Vienne la ratification à l’impératrice et à rester en otage jusqu’à la pleine exécution des ordres qu’elle voudrait leur imposer.

Si la souffrance était pour la pauvre république ainsi délaissée, la honte et l’humiliation étaient surtout pour ses alliés qui l’abandonnaient. On ne s’y méprit nulle part, ni en Europe, ni en France, et à Versailles moins qu’ailleurs. Dès que le résultat fut prévu, avant même que la triste réalité fût connue, c’était dans le conseil ministériel de Louis XV un trouble général. — « C’est une chose incroyable, écrit l’ambassadeur de Venise à Paris : on ne peut parler séparément à chacun des ministres qui composent le conseil d’état et qui décident des affaires politiques, c’est-à-dire le général de Tencin, le comte de Maurepas, le maréchal de Noailles et les deux frères d’Argenson, sans qu’ils conviennent de la nécessité de secourir les Génois, et tombent d’accord qu’il y va de l’honneur et de l’intérêt de cette couronne de ne pas abandonner cette

  1. Mémoire sur la campagne d’Italie en 1745 et 1746 déjà cité.