Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/346

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dernier effort, eut enfin le bonheur de lui persuader. Il fut aidé cette fois d’ailleurs dans son insistance par la difficulté que l’armée espagnole commençait à éprouver à se nourrir sur un terrain chaque jour plus resserré. Le passage du Pô fut donc tenté le 9 août, au point heureusement indiqué ; opérée dans de telles conditions, cette manœuvre hardie demeure un des faits les plus honorables de nos fastes militaires. En moins de vingt-quatre heures, les deux armées eurent passé de l’autre côté du fleuve, sans que ni en amont, au camp piémontais, ni en aval où se trouvait Botta, le moindre éveil eût été donné. La marche fut commencée dès le lendemain pour rentrer en Piémont par Voghera et Tortone. Alors seulement Botta, qui n’était peut-être pas fâché de n’avoir pas été averti plus tôt, se mit en mouvement, et fit mine de barrer le chemin ; mais il était trop tard, et d’ailleurs l’attaque des Autrichiens était très gênée par le cours d’un petit affluent du Pô, le Tidon, qui les séparait de l’armée en marche. Tout se borna donc à une série de combats très vaillamment soutenus pendant les journées du 11 et du 12, sur la gauche des colonnes espagnoles et françaises et à leur arrière-garde. Le 14, toutes les forces gallispanes étaient réunies et en sûreté autour de Tortone.

Ce fut là que, dès le jour même, leur bienvenue fut saluée par l’apparition très inattendue d’un nouveau général envoyé par le nouveau roi d’Espagne. L’annonce de la mort de Philippe V était, en effet, arrivée à son fils pendant les jours d’irrésolution et de trouble dont on avait eu tant de peine à le tirer et ne contribuait pas peu à accroître ses perplexités et ses défaillances. Chacun sentait, et lui-même ne se dissimulait pas, combien sa position était changée par l’événement qui lui enlevait la protection et la tutelle d’une mère passionnée, mais ni lui, ni personne n’était préparé à la décision qui lui fut communiquée. Le marquis de La Mina (c’était le nom du nouveau venu) apportait une lettre de Ferdinand à son frère, conçue dans les termes les plus affectueux, mais qui lui enjoignait de renvoyer tous ses conseillers, La Mina les remplaçait tous, avec des pouvoirs très étendus, qui ne laissaient plus à l’infant qu’une autorité nominale.

Quel était le but de ce changement et de quelles instructions était porteur le représentant du nouveau règne ? Le choix même de l’envoyé n’annonçait rien de bon, car La Mina avait été ambassadeur à Paris pendant le ministère de Fleury et rappelé à la demande du cardinal, avec qui il n’avait pu s’entendre ; il passait pour garder rancune de ce souvenir et pour être d’ailleurs animé à l’égard de la France des sentimens médiocrement bienveillans, communs à presque tous les Espagnols. Il ne s’en répandit pas moins, dans son premier entretien avec Maillebois, en protestations que