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un dîner était préparé. Vu l’heure avancée, il fallut bien entrer et s’y asseoir. Le repas était bon et bien servi : le maréchal fut mis à la première place, le prince s’asseyant à sa gauche : on ne parla pas de l’affaire de la veille, et tout se passa de bonne grâce. En sortant seulement, Valfons dit à l’oreille de Maurice : — « Vous voyez bien, monsieur le maréchal, qu’on vous trompait et que M. de Cermont est de vos amis. » — « C’est bon, c’est bon, reprit Maurice, nous nous aimons beaucoup, mais surtout au feu. »

Peu de jours après, le corps de Clermont fut reconstitué, porté à 12,000 hommes avec vingt pièces de canon, et 300 servans d’artillerie, et le siège d’Anvers put commencer dans de bonnes conditions[1].

Clermont remercia le maréchal avec une effusion peut-être sincère. « Quand vous me connaîtrez mieux, lui écrivait-il, vous verrez que je ne suis ni avantageux, ni intrigant, ni étourdi ; que je ne connais pas de dessous et que je m’attache sincèrement à ceux qui ont de l’affection pour moi. » Mais en attendant, pour ne plus être exposé à se retrouver dans l’embarras, il prenait acte auprès de Mme de Pompadour de la marque de confiance qui lui était donnée, et, par une flatterie délicate, il l’entretenait de détails militaires qu’elle n’était sûrement pas en état de comprendre. « — A présent, disait-il, que le roi m’a fait la grâce de me détacher avec un corps pour faire le siège de la citadelle d’Anvers, je vous prie d’en agréer les nouvelles. Cette citadelle se défend par un feu assez raisonnable, parce que, voulant ménager la ville d’Anvers, je n’ai pas un grand front d’attaque et que les ennemis portent toutes leurs défenses sur ma tranchée. Si j’avais eu la liberté d’attaquer par l’esplanade de la ville et par le côté de l’Escaut aussi bien que par celui-ci, mon opération en aurait été plus prompte ; malgré cela, je fais mon possible pour que ceci aille bien, et je puis vous dire, madame, que je chemine promptement, vu la gêne dans laquelle je suis… Ce que j’ai à vous mander qui m’intéresse plus que tout, c’est que le roi est gai et se porte à merveille. Je vous demande la permission de vous écrire quelquefois pour vous demander de vos nouvelles. Je vous prie d’être persuadée que je m’y intéresse infiniment. Ne doutez pas, madame, du respect, de la reconnaissance et de l’attachement que je vous ai voués : ces sentimens sont, je vous assure, inviolables. » — Et pour plus de sûreté, il écrivait aussi à Paris-Duvernay : « Principauté à part, si j’étais un homme à ne point vouloir relâcher aucune des troupes qu’on m’aurait confiées qu’à mon

  1. Souvenirs du marquis de Valfons, p. 156-165.