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dans l’embarras en se retirant sous sa tente, dans sa belle villa de Plaisance, où on ne l’aurait pas laissé languir longtemps. C’est une menace dont il savait faire usage dans l’occasion. Je ne connais pas de meilleure preuve de cette puissance financière croissante que j’ai dû signaler et qui, bien qu’elle se soit fait sentir dans tous les temps, ne s’était pas encore affichée avec une si orgueilleuse ostentation.

Le père de Mme de Pompadour avait été commis dans les bureaux de Duvernay et lui-même avait contribué d’abord au mariage, puis à l’élévation de la fille ; Plaisance et Étioles étaient restées deux demeures tenues sur le même pied, fréquentées par les mêmes visiteurs, en relations affectueuses et quotidiennes[1]. Je n’oserais affirmer que c’est à cette intimité entre la favorite et le grand fournisseur que fût due une répartition de commandemens pour cette campagne de 1746, dont le maréchal de Saxe, obligé de la subir, ne craignit pas de se plaindre assez haut. La vérité est que jamais choix ne parurent plus dictés par la faveur, et, depuis de longues années, les troupes françaises n’avaient vu autant de princes à leur tête. Il y avait d’abord le prince de Conti, à qui, comme je l’ai dit, on avait fait don d’une armée absolument indépendante, grossie en outre par un détachement de l’armée royale. Venait ensuite le comte de Clermont, cadet de la maison de Condé, qui consentait bien à servir sous les ordres du maréchal, mais à la condition de commander lui-même à un corps d’armée tout entier : puis le duc de Chartres et tous les petits-fils légitimés de Louis XIV, duc de Penthièvre, prince de Dombes, comte d’Eu, chacun prétendant à remplir un poste où il eût occasion de se signaler et menaçant de se retirer si on ne lui donnait pas satisfaction. Maurice, tiré de droite et de gauche, ne savait auquel entendre. Encore s’il se fût agi démarcher tout de suite à une action vive et décisive, il aurait pu se flatter d’entraîner tout ce beau monde, comme à Fontenoy, et d’enlever la victoire par l’élan d’une fougue valeureuse. Mais les conditions modestes que lui imposait la politique adoptée à Versailles ne lui permettaient pas de courir ainsi après un coup d’éclat. Ne pouvant aller chercher l’armée alliée sur la limite de la frontière hollandaise (où elle se concentrait lentement), de crainte d’être entraîné à sa suite sur le territoire qu’il avait ordre de respecter, il voyait, bien que toute son action allait se borner à compléter la conquête des Pays-Bas, en faisant le siège de toutes

  1. Dans quelques-uns des rares billets qu’on ait conservés de Mme de Pompadour, on voit que son intimité avec Paris Duvernay était si grande, qu’elle lui donne couramment le surnom familier de mon cher nigaud.