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contrefait tout ce qu’elle veut, les passions et même la vertu quand il le faut ; l’éducation a perfectionné la nature pour exceller dans le rôle qu’elle devait jouer, c’est le gracieux instrument de tristes desseins. »

Ces deux portraits tracés avec art se ressentent, par l’opposition des traits que le peintre s’est plu à mettre en regard de l’impression qui fut éprouvée à la cour quand, pour la première fois, on vit une simple bourgeoise, comme Mme Lenormand d’Etioles, élevée à ce poste de maîtresse déclarée du roi, qui n’avait appartenu, jusque-là, qu’à des personnes bien nées. On a presque honte de dire que la noblesse s’en trouva mortifiée comme d’une atteinte portée à l’un de ses privilèges. Sans s’associer, même de loin, à ce renversement de toutes les lois morales et à cet oubli de la vraie dignité, qui devrait être l’apanage des familles honorées par l’éclat de leur nom, il est impossible de refuser un certain fond de justesse à la comparaison faite par d’Argenson. Il est certain que, tandis que Mme de Châteauroux se piquait de rester fidèle, au moins par l’élévation des idées, aux traditions des aïeux dont elle était fière, Mme de Pompadour apportait à la cour, avec des prétentions moins hautes, des habitudes et un tour d’esprit qu’on n’y connaissait pas et qui étaient propres au milieu social (comme nous disons aujourd’hui) où s’était passée sa jeunesse.

Non que je veuille dire, assurément, que jusqu’à ce milieu du XVIIIe siècle, qui marque le déclin de l’ancienne monarchie, la noblesse seule eût eu le privilège d’approcher du souverain et qu’il ait fallu un caprice de libertinage royal pour ouvrir à la bourgeoisie l’entrée de la cour ; encore moins que nos rois n’aient pas accordé de bonne heure à ce tiers-état éclairé, qui tient dans notre histoire une place si honorable, les égards mérités par ses lumières et par ses services. Ce serait l’opposé de la vérité. Ce fut au contraire, on le sait, l’instinct merveilleusement intelligent de la royauté française, de choisir de préférence dans cette classe qui était le cœur même de la nation, ses conseillers et ses ministres. En réalité, depuis deux siècles au moins, en fait, c’était la bourgeoisie (l’humeur d’un écrivain entiché de noblesse comme Saint-Simon l’atteste assez) qui gouvernait la France, et la classe qui avait fourni des ministres comme Colbert, des capitaines comme Fabert et Catinat et des prélats comme Bossuet, n’attendait pas l’apparition de Mme de Pompadour pour ne pas être traitée comme une caste intérieure. Nul emploi important et même honorifique ne lui était interdit, et la politique qui lui ouvrait ainsi, à toute heure, les portes du cabinet royal, n’aurait pas laissé celles de la cour se fermer longtemps devant elle.

Mais c’était la bourgeoisie elle-même qui subissait à cette époque