Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/311

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

remontant au Mont-Blanc, la France, par les positions qu’elle occupe, par les défenses nouvelles qu’elle a élevées à Briançon, autour de Grenoble, aux débouchés de la Tarentaise et de la Maurienne, pourrait, même avec peu de monde, interdire tous les passages. La guerre, dans cette zone, ne serait, d’après toutes des apparences, qu’une chicane de frontières. Les événemens ne se reproduisent jamais sans doute de la même manière. L’habile et heureuse stratégie que le maréchal de Berwick déployait dans cette région en 1709 ne s’accorderait plus peut-être avec les circonstances. Il suffirait de s’inspirer des mêmes principes pour assurer, avec le même succès, la défense de cette partie des Alpes. Ce n’est pas là que les vraies opérations s’engageraient. C’est aux pieds des Alpes suisses que commenceraient les affaires sérieuses pour une armée italienne qui voudrait se relier aux Allemands entrés par Bâle ; et sans méconnaître la valeur de cette armée, on peut dire que pour son coup d’essai elle s’est donné une rude besogne, qu’elle pourrait être exposée à quelque mécompte.

Avant même d’être aux pieds des Alpes, l’Italie aurait à subir une première épreuve, délicate pour toutes les puissances militaires, particulièrement difficile pour un état né d’hier, celle de la mobilisation. Quelques soins qu’aient mis depuis quelques années les Italiens à perfectionner leur organisation, ce serait pour eux une grosse affaire de mobiliser d’un jour à l’autre une grande armée dans les conditions d’un recrutement compliqué et d’avoir à transporter cette armée du midi au nord par des chemins de fer qui, sauf les plus récens, ne sont pas conçus pour la guerre, qui n’ont le plus souvent ni doubles voies, ni garages suffisans, ni l’outillage nécessaire[1]. Les chefs militaires ne l’ignorent pas. Il y

  1. Le rapporteur d’une commission parlementaire italienne disait il y a peu d’années : «… Il suffit de jeter les yeux sur une carte ou d’examiner l’une des gares principales de notre réseau pour remarquer que, si la guerre éclatait à bref délai, la mobilisation et la concentration de nos troupes seraient fort retardées par le manque de voies ferrées et de matériel mobile. Étant donnée, en effet, la vulnérabilité des lignes qui longent le littoral, il faut nous demander si nous possédons à l’intérieur assez de voies ferrées pour assurer, à l’abri de toute surprise, le transport régulier de nos troupes d’une extrémité à l’autre de la Péninsule… » Plus récemment, à l’occasion de la demande d’un crédit extraordinaire de 146 millions pour les ministères de la guerre et de la marine, plus 86 millions pour les chemins de fer, le rapporteur de la commission parlementaire renouvelait ces observations. Les Italiens semblent surtout préoccupés de ce fait que les deux lignes du littoral de la Méditerranée et de l’Adriatique qui serviraient à la mobilisation pourraient facilement être interceptées par une marine étrangère, qu’il ne resterait, par conséquent, que la ligne de l’intérieur, qui ne suffirait plus « pour concentrer dans la vallée du Pô près d’un million d’hommes. » Il y a déjà quelques années que le colonel autrichien Von Haymerlé, dans son opuscule Italicœ res, avait signalé cette difficulté des chemins de fer pour les mobilisations italiennes.