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armée, aux mouvemens stratégiques. Elle a poussé une de ses lignes nouvelles, d’Ivrée à Aoste, d’où elle peut jeter rapidement des troupes en Savoie et en Valais. Plus récemment encore, elle a ouvert une ligne qui va de Novare à Domo d’Ossola aux approches du Simplon. C’est là justement un des traits caractéristiques de ce travail poursuivi depuis quelques années : l’Italie a passé par degrés de ce qu’on pourrait appeler l’état défensif à un état semi-offensif. Les grandes préparations militaires sont dans la vallée du Pô, les chemins de fer vont aux pieds des Alpes. C’est tout simple : les efforts militaires vont où va la politique.

Oui, assurément, l’Italie a beaucoup fait et pour son armée et pour sa marine, dont les budgets ont passé en moins de quinze ans, l’un de 172 millions à 310 millions, l’autre de 37 millions à 115 millions. Seulement, tout cela est un peu précipité, assez décousu et ressemble à une œuvre improvisée par une nation jeune qui a hâte de devenir une grande puissance, d’entrer dans un grand rôle. On peut se demander si, dans la pratique, au début d’une guerre, il n’y aurait pas de singuliers mécomptes, si les mobilisations italiennes ne souffriraient pas de ce qui a été une idée heureuse en politique, du mélange des hommes de toutes les ; régions, si les chemins de fer suffiraient aux grandes concentrations qu’on médite. Le jour où l’alliance commanderait, où l’Italie se trouverait engagée sur toute la chaîne des Alpes et pourrait être brusquement appelée à rallier une armée allemande en pleine Suisse, qu’arriverait-il ? C’est une autre question.

Ce serait le moment de l’épreuve décisive, le moment des résolutions sérieuses et de l’action. On peut supposer que la France ne serait pas prise au dépourvu, pas plus que la Suisse, que l’une et l’autre, quoique dans une mesure différente, seraient prêtes à attendre de pied ferme les événemens. Laissons de côté, si l’on veut, cette partie de la frontière alpestre qui va du Mont-Blanc à la mer de Nice. Les attaques par le Var n’ont jamais été des plus heureuses. Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on a dit que la route de Provence était le coupe-gorge des invasions. Le vaillant et opiniâtre Suchet le prouvait lorsqu’en 1800 il retenait, avec une poignée d’hommes, devant le pont du Var, une partie de l’armée autrichienne, tandis que l’armée de réserve, conduite par Bonaparte à travers le Saint-Bernard, descendait dans la plaine du Piémont pour courir à Marengo[1]. Dans le reste des Alpes

  1. Un livre récemment publié, — la Défense du Var et le Passage des Alpes, par M, Ch. Auriol, — fait revivre cet intéressant épisode de la campagne de 1800. Ce livre, surtout composé avec des documens qui n’étaient pas tous connus, a le mérite de remettre dans sa vérité le rôle obscur et ingrat, quoique toujours héroïque, de l’armée qui portait alors le nom d’armée d’Italie, dont les chefs étaient des hommes comme Masséna, Suchet, qui s’illustraient : l’un par la défense de Gênes, l’autre, par la défense des Alpes-Maritimes.