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défense. C’est en cela justement que tout a changé depuis la capitulation de Bâle le 2 décembre 1813 !

La vieille Suisse est devenue par degrés, par une série d’évolutions et de transformations intérieures, une Suisse nouvelle, plus concentrée, fortifiée par plus d’un demi-siècle de vie libre et neutre. Chose singulière ! Cette république des Alpes se compose par le fait de nationalités diverses ; elle a une partie italienne par le Tessin, une partie française par la Suisse romande, et une partie allemande, et tout cela fondu, uni par un lien volontaire, forme une nation qui n’est ni allemande, ni française, ni italienne, une nation originale, solide, alliant à la vieille fierté helvétique un sentiment tout moderne de son indépendance et de son inviolabilité. On l’a vu récemment, lorsque l’Allemagne a voulu peser d’une main trop lourde sur cette indépendance, le conseil fédéral a maintenu sans jactance, sans faiblesse, tranquillement, ses droits, et il avait, on le sentait, le pays tout entier pour complice. La Suisse ne serait plus désormais paralysée par les divisions intérieures et elle a sûrement la volonté de se défendre. Elle a de plus aujourd’hui des forces militaires assez sérieuses, une armée suffisamment organisée pour sa destination défensive, une armée naturellement appropriée à un pays de démocratie, à ses mœurs, à ses traditions, à ses conditions géographiques.

C’est, si l’on veut, moins une armée qu’une grande milice embrassant la nation tout entière, formée d’un premier ban ou « élite, » et d’une landwehr. Telle qu’elle est cependant, milice ou armée, elle comptait, d’après les derniers recensemens, un peu plus de 100,000 hommes pour « l’élite, » et un nombre à peu près égal pour la landwehr. Avec le dernier ban, le landsturm, le chiffre s’élèverait même sensiblement sans représenter à la vérité une force de plus. Le nerf est dans « l’élite » et la landwehr. Cette masse de plus de 200,000 hommes, qui n’est elle-même appelée que partiellement et pour peu de temps, peut sans doute avoir les inconvéniens des milices ; elle n’a pas l’expérience et la cohésion que donne le service permanent. On s’est efforcé d’y suppléer par les institutions qui sont comme les ressorts nécessaires des armées, par la fixité de l’organisation supérieure. La Suisse a un état-major fédéral concentrant toutes les affaires militaires, des divisions constituées d’avance, des règlemens préparés et appliqués par des chefs d’élite, un corps d’officiers zélés et dévoués à leur métier, une artillerie instruite de près de cinquante batteries, de 300 bouches à feu, tous les services qui ne s’improvisent pas. Elle a pour ainsi dire les cadres où entrerait au premier appel toute une population naturellement trempée pour la guerre, préparée par un