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Lille, — sur l’Escaut, à Valenciennes, — sur la Sambre, à Maubeuge, sur l’Oise, à Hirson, comme elle s’est armée dans le nord-est, ce n’est pas certainement pour menacer la Belgique ; c’est tout simplement dans la prévision que le territoire neutre pourrait n’être pas respecté par d’autres, qu’une armée ennemie pourrait forcer le passage pour se porter sur une des routes les plus directes d’invasion, la vallée de l’Oise. Les Belges eux-mêmes l’ont si bien senti qu’un de leurs écrivains a pu dire : « Plus nos voisins du Midi multiplieront les obstacles sur la frontière franco-belge et moins nous aurons à redouter une invasion allemande, c’est évident. »

Politiquement, moralement, le danger pour la Belgique n’est donc plus du côté de la France. La vérité est que par la force des événemens il s’est déplacé : il a passé ailleurs, il est bien plutôt désormais en Allemagne. Et si le danger est devenu assez sensible, assez pressant pour émouvoir les Belges, ce n’est pas parce qu’on se trouverait en face d’un prétendu droit qu’aurait l’Allemagne, c’est-à-dire la Prusse, de mettre garnison à Namur au premier bruit de guerre. On ne parle pas sérieusement sans doute d’un droit qui a été imaginé en 1815, qui se liait à la constitution du royaume des Pays-Bas, et qui après la dissolution de ce royaume, après toute sorte de métamorphoses, demeurerait encore aujourd’hui applicable à une situation toute différente, à un état nouveau, indépendant et neutre. On aurait quelque peine à faire comprendre par quel miracle de contradiction des puissances, qui reconnaissaient en 1831 la neutralité indépendante de la Belgique, auraient en même temps signé un protocole secret qui serait la négation, l’abolition virtuelle de cette neutralité[1]. Il resterait de plus à expliquer comment ce

  1. A force de commentaires et de subtilités, on a fini par obscurcir toutes ces questions qui touchent aux conditions de l’indépendance belge, à la convention de 1831, dite des forteresses, à l’acte interprétatif de cette convention (23 janvier 1832) et au fameux article secret dont on ne cesse de parler. La vérité vraie de ta situation est tout entière dans un exposé sommaire paru au Moniteur belge du 25 mai 1832, et disant : « Par le traité de Paris du 20 novembre 1815, les puissances alliées s’étaient réservé le droit d’élever des forteresses dans quelques pays limitrophes de la France et avaient destiné à cet objet une partie des 700 millions payés par la France. Le roi des Pays-Bas reçut, pour sa part, 60 millions qui furent employés à la construction et à la réparation des forteresses. ; les puissances alliées se regardèrent depuis 1815 comme les propriétaires ou du moins les co-propriétaires des forteresses ainsi élevées en Belgique ; elles étaient périodiquement inspectées par des officiers étrangers au royaume des Pays-Bas au nom des puissances. — Cet état de choses a cessé. Ce grand résultat n’est pas écrit dans le traité même, mais dans un acte rédigé le 23 janvier 1832 et échangé en même temps que le traité… On peut dire que ce jour-là le soi belge a été libéré de toutes les servitudes de droit public que les vainqueurs de 1815 avaient imposées… » C’est l’explication nette et décisive du nouvel ordre de choses créé par la révolution belge et par la convention du 14 décembre 1831, relative à la démolition d’un certain nombre de forteresses. Il n’y a rien dans cette convention qui réserve un droit d’occupation dans les forteresses non démolies. — Quant à l’article « secret » dont on parle toujours, il n’est pas tellement secret qu’on ne sache à peu près ce qu’il contient. Il ne stipule rien qui soit une diminution de souveraineté pour la Belgique ou une menace pour la France. S’il prévoit le cas où le roi des Belges aurait à s’entendre avec les cours garantes au sujet des forteresses conservées, il ajoute que c’est toujours sous la réserve de la neutralité de la Belgique. — L’Avenir militaire français, dans son numéro du 6 décembre 1889, a donné l’explication la plus claire de tous ces faits.