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fortification d’Anvers en a été la première expression ; mais c’est surtout depuis quelques années que cette question de la défense belge s’est élargie et compliquée avec les événemens, à mesure que l’état de l’Europe est devenu plus violent. Elle a retenti dans le parlement de Bruxelles, elle a passionné et partagé l’opinion ; elle a suscité les controverses les plus vives, une guerre de brochures où se sont trouvés engagés les chefs militaires, le souverain lui-même[1].

Le fait est que tout ce qui touche au développement des moyens de défense, des armemens, de l’état militaire est aujourd’hui en Belgique une sorte d’obsession. Une fois dans cette voie, tout s’enchaîne. La fortification d’Anvers a été le point de départ ; mais Anvers n’est qu’un vaste camp de refuge, un réduit imaginé et construit à une époque où l’on songeait avant tout à s’appuyer sur l’Angleterre. Anvers a paru ne plus suffire à des circonstances nouvelles. On a fait un pas de plus ; on a cru nécessaire d’étendre et de compléter la défense belge par des postes avancés sur la frontière ouest et sud : c’est ce qu’on a appelé les fortifications de la Meuse. Camps retranchés, têtes de pont, forts d’arrêt, peu importe le nom, ces fortifications conçues par un des premiers ingénieurs militaires de l’Europe, M. le général Brialmont, sont destinées à intercepter les invasions, en couvrant Liège qui est le point de jonction avec la grande ligne allemande d’Aix-la-Chapelle-Cologne, — Namur qui par sa position au confluent de la Sambre et de la Meuse fait face à une armée venant du sud.

Dans les plans du génie belge, les travaux de Namur et de Liège se compléteraient par un fort qui serait placé à Saint-Trond, sur la ligne allant de la frontière du Limbourg néerlandais à la frontière de France par Hasselt-Gembloux-Charleroi, et qui avec les ouvrages de la Meuse, avec la place de Diest reliée à Anvers, fermerait les issues les plus menacées. On est déjà à l’œuvre ; mais la fortification de la Meuse implique une autre conséquence, l’augmentation des forces militaires. Jusqu’ici, avec un recrutement à peu près modelé sur l’ancien recrutement français, la Belgique a eu une armée qui n’a guère dépassé jamais 100,000 hommes ; elle n’a pas atteint ce chiffre en 1870. Ce qui a suffi jusqu’ici ne peut plus suffire pour garder les places de la Meuse en même temps que le camp retranché d’Anvers et avoir une armée de campagne qui reste le nerf de la défense. Aussitôt est née une question qui ne laisse pas d’émouvoir et de partager l’opinion, celle de l’extension du

  1. C’est un bruit accrédité, en effet, que le roi Léopold II n’était pas étranger à quelques-unes de ces brochures, même pour l’inspiration, à celle de M. Banning, surtout à la brochure anonyme qui a pour titre : la Belgique actuelle, au point de vue commercial, colonial et militaire, programme de politique nationale.