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vaincus de Sadowa avec le dur vainqueur, et qui, à la faveur de cette réconciliation, a obtenu plus tard, au congrès de Berlin, la Bosnie et l’Herzégovine. C’est lui qui a préparé les alliances nouvelles de l’Autriche avec le dessein plus ou moins dissimulé de contenir ou de menacer la Russie. Il resterait à savoir si dans toute cette diplomatie il a toujours eu le sentiment du rôle européen de l’empire qu’il servait, s’il n’a pas été un Magyar souple et délié, enivré d’un grand rôle plutôt qu’un véritable homme d’état en enchaînant l’Autriche à de périlleuses combinaisons. C’est encore une question ; elle n’est pas résolue par la mort de celui qui a le plus contribué à placer l’Autriche dans des conditions difficiles en Europe, dans des rapports qui ressemblent à une subordination forcée vis-à-vis de l’Allemagne.

Depuis bon nombre d’années déjà, le comte Andrassy avait quitté le pouvoir. Il avait mis une sorte de coquetterie à s’effacer après avoir accompli ce qu’il considérait comme son œuvre. Il l’a peut-être depuis regretté plus d’une fois dans les loisirs qu’il s’était faits, Ou il n’était plus qu’un politique en disponibilité, paraissant de temps à autre aux délégations et au parlement de Pesth, donnant des consultations, prodiguant au besoin les épigrammes à ses successeurs. Il avait gardé toutefois un grand prestige en Hongrie, il était resté dans l’intimité de la cour. Le comte Andrassy aura été jusqu’au bout un personnage d’une originalité singulière, et sa mort même aura été l’occasion d’un de ces spectacles où éclatent les contrastes des destinées de notre temps. Celui qui avait été pendu en effigie en 1848 a eu l’autre jour à Pesth des obsèques où ont figuré tous les grands de l’état : l’empereur, l’impératrice elle-même, le corps diplomatique, les princes de l’église, les magnats, les députés, — et celui qui a prononcé l’éloge funèbre du comte Andrassy avait été condamné comme lui ! C’est la plus saisissante moralité d’un temps où tout arrive, où les condamnés d’hier sont quelquefois les souverains ou pour le moins les ministres de demain !

A quoi tiennent souvent les affaires d’un pays ? À ces jeux du destin qui font passer les hommes comme des ombres sur la scène, à un prince qui meurt ou qui vit. L’an dernier, la Hollande a été au moment de voir disparaître son souverain. Le roi Guillaume semblait toucher à sa dernière heure. On le croyait si bien qu’on avait déjà organisé la régence en même temps qu’on avait appelé l’héritier éventuel du Luxembourg, le duc de Nassau, à prendre le gouvernement du grand-duché. C’était une crise qui pouvait avoir sa gravité pour la Hollande, même un peu pour l’Europe, par suite du changement de condition du grand-duché de Luxembourg qui passait sous un prince allemand ; mais voici que, par une heureuse fortune, ce roi qu’on avait déjà remplacé est revenu tout à coup à la vie, et, depuis, c’est lu ; qui règne, qui gouverne. On célébrait récemment un de ses anniversaires.