Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/183

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fois plus de libertés sous l’ancien régime que sous le nouveau ; — je ne veux d’aucune liberté. Royer-Collard reprend le raisonnement et conclut d’une manière moins inattendue : « Il y avait toutes sortes de libertés sous l’ancien régime, j’entends toutes sortes de pouvoirs particuliers, très forts, très nombreux surtout, qui limitaient l’omnipotence centrale (quand il les énumère, complaisamment, on croit s’être trompé de volume et lire une page de Bonald, plus brillante et plus oratoire qu’à l’ordinaire) ; il n’y en a plus : la révolution a sinon fait, du moins consommé le despotisme. Il faut qu’il y en ait. Je conserve ceux dont il reste au moins un vague souvenir, pairie, magistrature, sinon autonome, du moins inamovible. ; je donne force de pouvoirs à de nouvelles institutions qui se sont élevées, assemblée bourgeoise, presse, et je trouve les anciennes libertés à peu près remplacées par les nouvelles. Je trouve du moins qu’il y a des garanties ; et j’estime que mieux vaut accepter celles-là que de dire : il y en avait, je les admire, je les crois nécessaires, et je n’en veux d’aucune sorte, »

Ajoutons que ces nouveaux pouvoirs, comme nous l’avons noté, il leur donnait un certain caractère de généralité qui faisait qu’au lieu de libertés qui étaient des privilèges, comme la France ancienne, la France nouvelle avait des libertés plus accessibles, au moins en apparence, à tout le monde, des libertés qui, tout en étant très susceptibles de se tourner en privilèges à leur tour, avaient au moins l’air de l’exercice d’un droit, et par là quelque chose de plus accommodé à l’esprit moderne. C’est ce que Bonald appelait avec mépris : « Installer la révolution sur la base de la légitimité. » Ce n’était pas cela précisément ; c’était vouloir le pouvoir légitime limité, comme il l’avait toujours été, au moins en principe, et limité après la révolution par les barrières qui seules, après la révolution, étaient possibles.

C’était donc là un système, ou plutôt un ensemble d’idées très juste et très judicieux pour le temps où il a été exposé. Il est certain qu’il a quelque chose d’un peu étroit. Il convient à son temps et, trop modestement ou trop obstinément, n’est fait que pour lui. Il n’est pas transportable (sauf une partie, très importante) d’une époque à une autre. Les hommes du temps de Charles X, ou même de Louis-Philippe, en peuvent tirer profit. Le temps suivant, il le prévoit, certes, mais il ne veut pas le prévoir. Il se contente de le mépriser. Royer-Collard semble dire : « Je nie la souveraineté du peuple, comme toute autre. — Mais quand elle existera ? — On aura eu tort de la faire ! — Mais encore ? — Tout sera perdu ! — Mais encore ? Le moyen de vivre avec elle ? — Dieu merci, je serai mort. » — Sa fameuse boutade : « Nous périrons, c’est une solution ! » est plus qu’une boutade, c’est bien un trait de son