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pouvoir limitateur. Il a dit formellement : « Les libertés sont des résistances. » Il doit y avoir liberté, pour qu’il n’y ait pas souveraineté ; c’est toute sa pensée sur ce point, et il n’en sort jamais. Il est homme d’opposition, d’opposition conservatrice, certes, et d’opposition patriotique, mais d’opposition. Il dit toujours à quelqu’un : « Vous n’irez pas plus loin, » et à un certain moment c’est au pouvoir, et à un autre c’est à la chambre, et toujours c’est à la foule ; mais sa fonction est d’être opposant et limitateur ; ce n’est peut-être pas d’être fondateur.

C’est pourquoi ses « libertés » ont quelque chose de si arbitraire en leur institution, et de si flottant en leur définition et en leurs limites.

Ses libertés, elles sont quatre : de presse, de culte, de parlement, de magistrature. Pourquoi quatre, et non trois ou cinq ? Pourquoi celles-là et non d’autres ? Pourquoi, par exemple, de liberté individuelle, personnelle, domestique, Royer-Collard ne parle-t-il pas ? Je crois bien le voir : c’est parce que, pour Royer-Collard, une liberté n’est pas, à proprement parler, une liberté, c’est un pouvoir. Quelque chose qui puisse arrêter la souveraineté, la faire reculer, empêcher qu’elle soit, voilà, pour Royer-Collard, une liberté. Voyez-vous bien le caractère tout pratique, nullement philosophique, nullement général, et, on croit pouvoir le dire, nullement élevé de ce libéralisme ? Il croit, et ce n’est pas une vue fausse, que toute liberté deviendra un privilège ; mais c’est un peu parce qu’il ne compte, ne reconnaît et ne consacre comme liberté que ce qui déjà en est un. Il y a un esprit singulièrement autoritaire (et, en effet, le tempérament de Royer-Collard était très autoritaire) dans ce libéralisme-là.

Il y a surtout, et c’est un peu la même chose, un esprit de défiance et comme de désillusion préalable et préventive. « Confiance ! confiance ! » n’est pas le mot de Royer-Collard. Il a toujours cru que tout allait sombrer. Il a toujours dit : « Nous allons être submergés, par ceci, par cela, par la royauté oppressive, par la chambre envahissante, par la démocratie débordante, et après ce débordement-là, il n’y a plus rien. Des limites, des barrières, des digues ! » Ce n’est pas une mauvaise disposition d’esprit, et l’homme d’Etat ne doit pas être un homme confiant et rassuré ; mais, chez Royer-Collard, elle est un peu inquiète, morose et chagrine. Il était homme d’ancien régime par toute une partie de son caractère et par tout un côté de son esprit. Il avait bien raison de dire qu’il n’avait « de vocation libérale qu’avec la légitimité ; » il n’avait de vocation libérale qu’avec la légitimité, pour la restreindre, pour la gêner, et, il faut le reconnaître, pour la guider, et il faut lui rendre