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de force qu’en tant que limite, et, pour en parler mieux, c’est une limite qui n’est pas un pouvoir. Cela vient de ce qu’elle se détruit comme puissance en s’établissant comme liberté. Une église est une puissance, une église privilégiée est un joug, et une église confondue avec l’état est un despotisme, le plus complet des despotismes. Des églises libres sont des libertés, rien que des libertés, et des enseignemens perpétuels de liberté. Elles apprennent au citoyen, continuellement, qu’il n’appartient pas tout entier à l’État, qu’il a une partie de lui-même, intime et sacrée, où l’État n’a rien à voir, et dont l’homme dispose pleinement à son gré, pouvant l’associer spontanément ou à telle communion ou à telle autre. Ce sont, en cela, des pouvoirs limitateurs, mais ce sont des limites toutes morales. Ce sont des âmes affranchies ; ce sont des consciences qui se saisissent d’elles-mêmes et s’aperçoivent qu’elles sont des consciences, et, du moment qu’elles s’en aperçoivent, le deviennent, au lieu de n’être que des soumissions. La liberté de conscience est création de consciences. Il n’y a pas ferment d’individualisme plus puissant au monde. — C’est précisément au temps où monarchie presque absolue, révolution, empire, tous, renchérissant l’un sur l’autre, ont nivelé, centralisé, et socialisé la nation au point que voilà l’État, c’est-à-dire en pratique le gouvernement, qui est tout, qu’il convient plus que jamais qu’il y ait au moins une chose individuelle qui soit la conscience, et des associations libres de consciences qui soient les églises. « De petites républiques dans la monarchie, » nous avons vu qu’autrefois il y en avait ; de petites républiques aujourd’hui dans la monarchie, demain, dans la démocratie autoritaire, il n’y en aura pas, si ce n’est les églises. Une église d’état est un danger formidable pour la liberté plus que jamais ; car dans l’ancienne monarchie, l’Église officielle n’était pas église d’État : elle était un corps de l’État, c’est-à-dire pouvoir limitateur de la souveraineté ; désormais, agrégée à l’État, soudée à lui, dotée par lui, vivant par lui, elle lui serait non plus une limite, mais un surcroît d’autorité et de force ; elle serait l’État religieux renforçant l’état civil, une aggravation de centralisation, de compression et de despotisme. Le despotisme absolu, c’est l’État-Église. L’école de la liberté, c’est l’Église libre.

L’inamovibilité de la magistrature, c’est un pouvoir limitateur plus matériel et plus palpable, aussi nécessaire. C’est l’État reconnaissant, non plus qu’il peut y avoir une conscience en dehors de lui, mais qu’il peut y avoir une justice contre lui, l’État reconnaissant que, dans un démêlé avec un citoyen, il peut être condamné, et qu’il est d’utilité sociale qu’il puisse l’être. C’est l’État reconnaissant qu’il ne peut pas être juge, parce qu’il lui arriverait d’être juge et partie. La liberté civile et la sécurité du citoyen honnête,