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indépendantes et inviolables que ne pourra toucher la souveraineté, ni celle, toute relative, puisque la charte existe, qui existe en ce moment, ni celle, absolue à cette fois, que nous aurons probablement demain et qui s’appellera la souveraineté du peuple. Et, dès lors, remarquez que la légitimité, seulement souvenir d’un droit, quand elle était tenue pour droit unique, redevient un droit véritablement dès qu’il y en a d’autres, et que je la légitime, si on me passe le mot, en la limitant.

Quels sont ces droits nouveaux qu’il faut consacrer pour remplacer les anciens qu’on a laissé prescrire et qu’on a fini, formellement, par effacer ?

Ces droits devront être des droits généraux, c’est-à-dire des libertés, au lieu d’être, comme autrefois, des droits particuliers, c’est-à-dire des privilèges. C’est en cela, c’est en observant cette différence entre le passé et le présent qu’il convient d’être démocrate et qu’il convient d’accepter la révolution. Un droit de classe, un droit de corporation, un droit de commune, un droit personnel, c’est une liberté, ne nous y trompons point ; car est une liberté, et profit indirect de tous, quoique propriété d’un seul, tout ce qui limite, arrête ou contrebalance le pouvoir absolu ou d’un maître ou de tout le monde ; mais encore c’est une liberté, générale sans doute en son dernier effet, particulière pourtant, privée et comme « domestique » en sa nature et en son essence. Ce que le monde moderne peut comprendre, d’abord, et ensuite ce qui est pratique et possible, c’est, non plus des libertés particulières, qui, étant des exceptions, au point qu’elles paraissent des abus, ne peuvent être instituées que par le temps ; mais des libertés générales, des libertés, qui, certes, ne seront point à l’usage de tout le monde, n’y comptez pas, des libertés qui seront parfaitement, comme les anciennes, et, forcément, le privilège de quelques-uns, mais enfin des libertés générales en ce sens, que, comme aux « fonctions publiques » tous les Français y seront admissibles, et, sinon aptes, du moins conviés. — En ce sens, elles auront un caractère un peu trompeur, soit, mais spécieux et séduisant, de généralité, qui satisfera l’instinct démocratique et égalitaire ; et, aux yeux du penseur sérieux, elles auront le même office et le même effet que les anciennes, ni plus ni moins, et c’est assez : elles empêcheront qu’il y ait une souveraineté.

Ces libertés générales, destinées à remplacer les libertés particulières, quelles seront-elles ?

Ce sera la liberté de la presse, la liberté des cultes, l’inamovibilité de la magistrature, le gouvernement parlementaire.

La liberté de la presse n’est pas, comme on l’a dit, la garantie, la sauvegarde des autres libertés. Elle n’en est pas le gardien