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destiné à le franchir, lord Melbourne disait : « Pourquoi ne pouvez-vous pas laisser le canal tranquille ! »

C’est au moment du départ de notre ambassadeur pour la France que s’arrête sa correspondance et que cessent les renseignemens sur son compte. On aurait aimé à le suivre dans la maîtrise des eaux et forêts de Bretagne qu’il avait fort désirée ; il y avait déjà fait son établissement ; une lettre du roi de 1532 lui donne congé de faire transporter en franchise complète cinquante-deux pipes de vin pour l’approvisionnement de sa maison de Bretagne. Mais si la dernière période de l’existence de Castillon est restée dans l’oubli, son souvenir sera conservé par son année d’ambassade, qui contient une esquisse « au vif » de cette figure d’Henri VIII, un des hommes les plus extraordinaires qui aient jamais existé et duquel Shakspeare a pu dire : « Ses vices étaient capables de faire pleurer les anges. » Castillon, tout en subissant le prestige de ce roi, remplit son devoir auprès de lui.

A une époque où la vie des hommes n’était pas encore chose sacrée, où même des ambassadeurs du roi de France étaient assassinés par les agens de l’empereur, Castillon fit respecter son maître avec courage. La diplomatie, cette manifestation pacifique de la force d’une nation vis-à-vis des étrangers, a toujours une grande séduction pour les hommes dévoués à leur pays ; cette qualité suprême n’a jamais manqué chez nous aux agens investis d’une telle mission ; ils ont compris l’honneur attache à une fonction dans laquelle ils représentaient leur pays ou leur souverain. Quand ces négociateurs s’appelaient François de Noailles, Jean du Bellay, Castillon, ils y apportaient des qualités de l’homme d’état, comme en témoigne leur correspondance. En la lisant on apprendra comment s’exerçait notre action lorsque la France ambitionnait justement de se compléter. Cette correspondance est la vraie source d’informations où doit être étudiée notre histoire diplomatique. Longtemps laissée en oubli pour la période du XVIe siècle, mieux connue maintenant, elle prendra sa place méritée dans la grande époque où s’ouvrent les temps modernes.


DE LA JONQUIERE.