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III

Les négociations à la cour d’Angleterre présentaient de grandes difficultés en raison du caractère mobile et insaisissable du souverain ; la phrase suivante d’une dépêche de Castillon servira après beaucoup d’autres à le faire apprécier : « Si le roi et l’empereur ont le passe-temps de le voir ainsi virolin virolant, je le vous dresserai aisément sans faire grand semblant. » Les ambassadeurs n’arrivant pas à leur but se déplaisaient dans cette cour et demandaient à être rappelés, aussi la liste est longue de ceux qui s’y succédèrent du temps du roi Henri. Du Bellay, qui avait précédé Castillon de quelques années à Londres, avait éprouvé ces difficultés. En présence de l’impossibilité d’arriver à ses fins et de négocier avec succès, il disait : si je puis le souhaiter sans offenser Dieu, je voudrais être où je serai d’ici à cent ans.

Le connétable, pour soutenir Castillon et l’encourager, lui écrivait : « Je sais que vous ferez ce que vous pourrez et non ce que vous voudrez. » Pour bien entrer dans les vues de cet homme d’état, l’ambassadeur était du reste très empressé à demander des instructions : « Pensez, s’il vous plaît, monseigneur, à toutes les choses que je vous ai écrites et m’en faites, je vous supplie, un pasté, je prendrai peine d’y mettre telle sauce qu’il vous plaira me commander ; » la sauce était quelquefois épicée et elle n’en flattait que mieux le goût d’Henri qui, malgré son caractère défiant et soupçonneux, se laissait aller parfois à une certaine confiance et lui parlait « privément. » Il avait été mécontent de la paix, il l’était encore de ne pas obtenir du roi de France et de l’empereur tout ce que son caractère absolu le portait à désirer pour satisfaire sa haine contre le pape qui, à la suite de la paix de Nice, avait lancé une bulle contre lui. Son caractère violent s’irrita de cette mesure ; il se vengeait en faisant arrêter les principaux personnages qui pratiquaient la religion catholique : le marquis d’Exeter, le plus proche parent de la couronne, lord Montagu dont la perte était décidée, la comtesse de Salisbury, mère du cardinal Pole et quantité de personnes éminentes de l’un et de l’autre sexe étaient mises dans la tour de Londres.

Il témoignait toutefois des attentions et des prévenances à l’ambassadeur, lui faisait des présens, lui envoyait de belles tapisseries et des meubles pour orner sa maison. Comme la ville de Londres était alors réputée la plus malsaine du monde, par suite des ravages