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hésita à l’épouser. Cependant il s’y résigna ; mais, au bout de six mois, le capricieux monarque divorça.

Trente jours étaient à peine écoulés depuis la répudiation d’Anne que Henri VIII prenait pour femme Catherine Howard, qu’il fit décapiter après une union de moins de deux années. Entre cette cinquième femme et la sixième s’écoula un court intervalle pendant lequel mourut Jacques V ; Marie de Lorraine se trouva veuve pour la seconde fois. Henri n’avait pas perdu le souvenir du vif attrait que lui avait inspiré cette princesse, et il brigua de nouveau sa main. Mais la veuve de Jacques V refusa d’entrer, après cinq femmes, dans le lit conjugal du roi d’Angleterre, ce qui irrita ce souverain et le porta à prendre des mesures hostiles à l’Ecosse. La reine douairière eut à veiller aux intérêts de son royaume. Croyant les sauvegarder par l’alliance traditionnelle avec la France, subissant en outre l’influence des Guise, elle fit repousser le projet de mariage du fils d’Henri avec sa fille Marie, et l’envoya en France pour être élevée au château de Saint-Germain avec les enfans d’Henri II ; ce roi la maria, à l’âge de quinze ans, au dauphin, depuis le roi François II, un peu moins âgé qu’elle.

Marie de Lorraine fut un des brillans rejetons de la tige illustre d’où elle était sortie. Les Lorrains, disait-elle, affectent de ne pas oublier qu’ils ont le cœur grand, comme ceux du sang dont nous sommes venus. En parlant ainsi de ceux de sa race, elle ne fut inférieure à aucun. La sœur de François de Guise et du cardinal de Lorraine ne pouvait pas rester dans une place qui n’était pas la première ; elle eut le désir naturel d’exercer l’autorité au nom de sa fille en bas âge. Elle possédait l’esprit de justice, beaucoup de douceur et de prudence, ce grand art de séduction qui distinguait François de Guise ; sa douceur avait gagné les cœurs des Écossais, et elle pouvait dire : « Je ne désire aucune chose qui soit en leur puissance qu’ils ne mettent peine de la faire. » On lui déféra la régence qu’elle désirait, et Brantôme dit qu’elle gouverna fort sagement le royaume d’Ecosse. Elle s’efforçait de le conserver à sa fille et travaillait à obtenir ce résultat avec toute l’énergie d’une mère dévorée du désir de transmettre son héritage à son enfant. Une grande joie lui avait été réservée : sa fille, douée de toutes les grâces du corps et de toutes les qualités de l’esprit, était devenue reine de France ; aussi Ronsard, grand admirateur des princes de Guise, lui écrivait :


Je suis en peine.
Duquel des deux plus d’honneurs tu auras,
Ou pour avoir une fille si belle
Ou pour avoir les frères que tu as.