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dire que le soleil ne se couchait jamais sur ses terres ; il suscita des ennemis à son rival, ne lui fut jamais inférieur et posa les premières bases d’un système d’équilibre entre les puissances européennes. L’idée, reprise et appliquée par Henri IV, Richelieu, Louis XIV, avec l’énergie qui les caractérisait, fut la base du droit politique moderne de l’Europe jusqu’au jour où le cardinal de Bernis donna pour alliée à la France son ennemie de deux siècles.

La guerre avait éclaté pour la troisième fois entre le roi de France, qui voulait venger la mort de son agent Merveilles, et l’empereur, qui avait été l’instigateur de l’attentat, comme il le fut plus tard du meurtre[1] du cardinal Fra Georgio, gouverneur de Hongrie, car sa main atteignait partout où s’étendait son intérêt. Les hostilités duraient depuis plus d’une année et n’amenaient d’autre résultat que de fouler les peuples ; les deux rivaux consentirent à faire la paix. Cette fois encore, comme en 1529, comme plus tard à Vaucelles, comme dans tous les grands événemens du XVIe siècle, l’influence des femmes se montra et fut toute-puissante. Les négociateurs ne furent plus Louise de Savoie et Marguerite d’Autriche à qui on avait dû la paix des Dames, fort triste pour la France ; ils furent cette fois Marie d’Autriche, reine de Hongrie, sœur de Charles-Quint, et Éléonore, aussi sa sœur, mais reine de France. L’intervention de ces deux princesses amena le roi et l’empereur à consentir une trêve de six mois pour l’Artois et les Pays-Bas ; elle fut signée le 30 juillet 1537 à Bormy, près Thérouanne, par le sire de Lannoy, le seigneur de Leidekerke, et Mathieu Strick, stipulant pour l’empereur, Jean d’Albon, Guillaume Poyer et Guillaume Bertereau pour la France. Mais il fallait l’étendre aux autres pays où la guerre durait toujours. Le cardinal de Lorraine et le grand-maître de Montmorency s’abouchèrent aux cabanes de Fitou, près Leucate, entre Salces et Narbonne, avec François de Los Covos, commandeur de Léon, et Nicolas Perrenot, sieur de Granvelle, députés de l’empereur, et signèrent le 21 janvier 1538 une trêve de six mois, bientôt après prolongée de dix ans par l’influence du pape Paul III, qui, désireux du bien de la chrétienté, s’était, malgré son grand âge, rendu à Nice pour se rencontrer dans cette ville avec les deux souverains rivaux.

Cette paix, qui par l’intervention du pape allait donner du repos à deux puissans pays et qui se faisait sans Henri, le mécontentait. Il cherchait à l’empêcher et à maintenir le roi de France et

  1. Lettre du cardinal de Tournon au maréchal de Brissac, de Venise. 15 janvier 1552 : «… le cardinal fra Georgio, gouverneur de Hongrie, a été tué si misérablement par les ministres de l’empereur et du roi des Romains, que c’est une chose fort scandaleuse, mais pas nouvelle, vu la possession en laquelle ils sont de faire de tels actes… » FF. vol. 20327. fol. 145.