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des républiques antiques et modernes l’avait annoncée depuis des siècles. Selon plusieurs, le mal est inhérent au régime, et la France aura d’autant plus de peine à y échapper qu’elle est une démocratie militaire : de la combinaison de la souveraineté populaire avec le service obligatoire risque fort de sortir la dictature de l’épée.

La crise du boulangisme, plus d’un a pu dire : « Nous l’avions bien prévue ! » Il ne fallait pas être grand devin ; mais, en politique, il sert peu de prédire le mal, et les prophètes de malheur auraient mauvaise grâce à en triompher. Entre les libéraux ralliés à la république et les conservateurs libéraux demeurés à l’écart, entre ce qu’on appelait, en des temps qui nous semblent préhistoriques, le centre gauche et le centre droit, la France a assisté, durant des années, à un curieux dialogue : « Pourquoi n’être pas venus à nous ? disaient les premiers ; pourquoi ne nous avoir pas aidés et soutenus ? Si, à notre exemple, vous aviez résolument accepté la république, la république eût été sage, modérée, tolérante. La France n’eût pas été coupée en deux par l’esprit de secte, violentée par le radicalisme, humiliée par le boulangisme. » — « Si nous ne sommes pas venus à vous, répondaient les conservateurs libéraux, si nous n’avons eu garde de vous imiter, c’est qu’il ne nous agréait pas d’être dupes. Si nous ne sommes pas venus à la république, c’est que nous savions que la république conduisait au radicalisme et à la dictature. » — « Vous voyez, disent les premiers, si nous avions raison : la république a duré ; nous vous l’avions bien dit. » — « Vous voyez, répliquent les seconds, si nous avions tort : la république est devenue radicale ; elle a failli verser dans la dictature ; nous vous l’avions annoncé. » — Et le dialogue, ainsi engagé, pourrait se prolonger indéfiniment sans convaincre personne, chacun des interlocuteurs ayant raison de son point de vue. Eh ! qu’importe, après tout, de savoir qui a tort ou raison ? L’important, c’est de vivre et de faire vivre la France ; et, devant les maux du pays, c’est une justification insuffisante que de dire : nous l’avions bien prévu.

Le schisme politique des libéraux de gauche et de droite a été un des événemens les plus fâcheux des vingt dernières années. Séparés, ils sont devenus presque également impuissans. Elles sont loin, du reste, les heures où, pour tout sauver, il eût suffi de leur entente ! Aujourd’hui, les libéraux qui, à la suite de Thiers, ont passé l’Atlantique et ceux qui sont restés sur l’autre rive n’ont à se demander qu’un peu de tolérance et de bonne volonté réciproques. Au lieu de toujours rappeler aux modérés de la république leurs faiblesses passées, les conservateurs doivent les encourager et les soutenir dans leurs essais de résistance à la pression du radicalisme. Les libéraux de gauche, de leur côté, ont mieux à