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chambre a nommé une commission d’enquête qui, à en juger par sa composition et par ses procédés, est moins jalouse d’atteindre les fraudeurs de bulletins que d’intimider les naïfs assez audacieux pour dénoncer les escamotages des radicaux. Est-ce encore là une manière de préparer l’apaisement ?

Laissons la chambre et Paris, regardons le pays, la province, les petites villes, les campagnes. C’est sur ces dernières que s’est le plus lourdement appesanti le joug des politiciens ; j’y cherche en vain des signes de détente. Tout au contraire, en mainte contrée, la persécution des suspects, l’intolérance des meneurs, la terreur des petits, toutes les minuscules tyrannies locales ont repris de plus belle. Non contens de leur triomphe, il semble que les vainqueurs veuillent faire expier, aux vaincus, leurs coupables espérances. J’en parle de visu ; je prends mon arrondissement ; c’est dans un département de l’est, naguère représenté par des radicaux ; cette fois, un conservateur l’a emporté. On a, d’abord, tenté de faire casser l’élection ; il a fallu y renoncer, l’écart des voix était trop considérable. On s’en est vengé sur les électeurs. Les gendarmes ont été, dans les communes, faire des enquêtes sur la conduite du curé, du garde-champêtre, du débitant. Le médecin des épidémies était conservateur, on l’a remplacé par un opportuniste. Le contrôleur des contributions, homme du pays, était soupçonné de peu de zèle : on l’a expédié au fond de l’ouest. Tout fonctionnaire qui, le soir de l’élection, n’avait pas la mine contrite s’est vu menacé de révocation. Un agent-voyer passait pour s’être montré tiède, on l’a mis à la retraite. Il n’est petites vexations qu’on ait négligées, ou petites gens qu’on ait dédaigné de frapper. Des cantonniers dénoncés pour propos malséans ont été cassés aux gages. Dans ma commune, les sœurs distribuaient des médicamens aux indigens ; on le leur a interdit, pour faire pièce au maire qui habite Paris. Le conservateur des hypothèques avait, dans ses bureaux, un jeune saute-ruisseau, coupable d’avoir distribué non des bulletins de vote, mais des lettres de faire-part pour le nouveau député ; quelques jours après, une lettre de la préfecture donnait, au conservateur des hypothèques, vingt-quatre heures pour remplacer ce criminel. Un notaire avait osé, dans une réunion publique, interrompre le candidat radical ; il a été poursuivi devant le tribunal pour manquement à ses devoirs professionnels, et les juges de la réforme judiciaire l’ont condamné à trois mois de suspension. Voilà comment on pratique l’apaisement en province, et cela, non en Languedoc ou en Provence, dans le Midi aux têtes chaudes, où l’on se permet tout, mais sous le ciel brumeux de la Champagne. Et, quand j’interroge des conservateurs de l’ouest ou du centre : Nous en avons