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au parlement une souveraineté illimitée ; et, de fait, aujourd’hui, dans la république française, le parlement, pour ne pas dire la chambre, est une sorte de souverain absolu. C’est compromettre, à force de l’outrer, le régime parlementaire. Dans une monarchie, — et le gouvernement parlementaire a été élaboré par et pour la monarchie, — il y a, en dehors des chambres, un pouvoir modérateur, régulateur, qui manque à la république. Cet arbitre, en dehors des partis, que nous ne pouvons trouver au-dessus du parlement, pourquoi ne pas le chercher au-dessous, au fond même de la nation, qui souvent est plus sage, plus pacifique, plus tolérante que ses représentans ? Il en est du paradis parlementaire comme du ciel de l’Évangile, ce sont les violons qui en font la conquête. Le peuple vaut mieux que les politiciens ; il est moins passionné que des députés élus après des compétitions acharnées. La loi sur l’instruction obligatoire et laïque eût dû être soumise à la ratification populaire, que, pour la faire accepter de la majorité de la nation, il eût fallu l’amender. En tout cas, avec le référendum, il y aurait, après le sénat, une instance de plus ; les parties pourraient appeler des arrêts du juge parlementaire et les faire casser par le peuple. Si la France demeure en république, elle sera contrainte de se demander quels freins à l’omnipotence et à l’arbitraire des chambres peut offrir une constitution républicaine.

Une chose que n’admettent point certains démocrates, c’est que les conservateurs se placent, à leur tour, sur le terrain démocratique. Cela, on leur en fait défense. De quel droit ? La France est désormais une démocratie ; c’est dans le peuple, dans les entrailles de la nation, qu’il faut chercher un frein à son gouvernement ; c’est avec des matériaux populaires que les ingénieurs politiques doivent s’efforcer d’élever un rempart contre le grand danger des démocraties, la tyrannie des majorités. A cela devront travailler conservateurs et libéraux ; ils devront être résolument réformistes, comme ils doivent être sagement progressistes. Tout État, disait Rivarol, est un vaisseau mystérieux dont les ancres sont au ciel. Aujourd’hui, hélas ! ce n’est plus au ciel, c’est au fond du peuple, dans les profondeurs de l’océan démocratique, que les États, entraînés par les vents du large, ou emportés par les courans du siècle, doivent essayer de jeter l’ancre ; s’ils ne trouvent pas le fond, ils iront aux abîmes.

Le régime parlementaire, tel qu’il est pratiqué chez nous depuis une douzaine d’années, est déjà en discrédit. Ceux qui croient les libertés publiques liées à ses destinées ont le droit d’être inquiets. Brider le parlementarisme serait peut-être le meilleur moyen de le sauver. Il serait puéril de nous le dissimuler : la France fait