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Marlowe, il ne faut plus le comparer aux Richard Edwards, aux Gascoigne, aux Thomas Hugues (auteurs de quelques tragédies ou drames historiques), mais à Lily et à ses disciples plus ou moins indépendans, les Peele, les Greene, les Lodge, etc. » Mais pourquoi M. Rabbe n’a-t-il pas cru devoir citer plus expressément les « œuvres de mérite » qui diminuent si fort l’importance de Tamerlan et augmentent d’autant celle de Lodge, de Peele ou de Greene ?

Il est forcé lui-même d’avouer que, si l’on excepte deux pièces de Peele et à peu près autant de Lily, toutes les œuvres que nous avons des auteurs qu’il nomme ou qu’il aurait pu nommer sont postérieures à 1587, c’est-à-dire à la première et à la seconde partie du premier drame de Marlowe. Il est vrai que Greene, que Lodge et que Lily étaient déjà, quand Marlowe débuta au théâtre, des auteurs appréciés. S’ensuit-il qu’ils lussent des écrivains remarquables ? Il est vrai aussi que plusieurs de leurs pièces peuvent s’être perdues. Mais il ne l’est pas moins que la perte est médiocre. Ce que nous avons, — en y comprenant même Campaspe de Lily ou le Jugement de Paris de Peele, — nous laisse peu de regrets sur ce qui nous manque, et les rares pièces de ces auteurs qu’on lise encore ont été précisément suscitées par Marlowe : témoin la gentille comédie de Greene, Friar Baron and Friar Bungay, qui n’est qu’une imitation, ou, si l’on veut, une contre-partie du Docteur Faustus. En un mot, — et j’emprunte ici les propres paroles du savant éditeur de Peele et de Marlowe, M. Bullen, qui fait autorité en la matière, — « le reste des prédécesseurs de Shakspeare sont des ombres ; Marlowe seul est vivant. » Ce peut donc être un « lieu-commun » de considérer Marlowe comme le véritable créateur du drame moderne ; mais ce n’en est pas moins l’expression exacte de la vérité. Le théâtre anglais date, si l’on veut, de 1576 ou même d’avant, en ce sens qu’il existait déjà une salle de théâtre et une troupe de comédiens. C’est affaire aux érudits d’éclaircir ce point, qui est curieux, assurément. Mais il date et datera toujours de 1587, pour le commun des lecteurs ; et ce sera justice.

Accorderons-nous pour cela à M. Rabbe que Tamerlan soit une œuvre éminente, trop dédaignée par la critique, « le plus complet » comme « le mieux composé » des drames de Marlowe ? Nullement. L’importance d’une œuvre, surtout de théâtre, dans l’histoire d’une littérature, n’est pas toujours en raison directe de sa valeur poétique. Il sera toujours permis, par exemple, à « l’amateur de lettres » de négliger, dans l’histoire de la tragédie française, les œuvres de Campistron, ou, dans celle de la comédie, les drames larmoyans de Nivelle de La Chaussée. Mais l’historien de la