Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/879

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

marque étrangère à des institutions qui, pour vivre, doivent être adaptées au sol qui les porte et à l’atmosphère qui les enveloppe, ou qu’en voulant le faire on les tue. Or nos facultés sont vivantes, beaucoup plus vivantes qu’elles n’ont jamais été. C’est la meilleure preuve que, tout en se modifiant, elles sont restées françaises.

Doctrine et méthode ont agi au dedans de tous les ordres de facultés et y ont porté plus haut qu’auparavant les études et la science. Nous l’avons vu pour les facultés de médecine et de droit. Mais nulle part cette action n’a eu d’effets plus rapides et plus entiers que dans les facultés des lettres et des sciences. Là, ce n’était pas simplement de modifications, mais d’un changement complet de front qu’il s’agissait. A l’inverse de ce qui se passe actuellement en Angleterre et en Écosse, où les universités sortent de leur enceinte traditionnelle, élargissent le cercle de leur action et envoient même dans les villes voisines des colonies d’enseignement supérieur, nos facultés avaient à se replier sur elles-mêmes, à former en elles des foyers intérieurs, à y concentrer des efforts qui, trop dispersés au dehors, se perdaient souvent dans le vide. C’était pour elles une crise organique. Les pessimistes, ceux qui ne pouvaient se résoudre à ces changemens, disaient qu’elles y succomberaient. Elles en sont sorties transformées et régénérées.

Rouvrons les statistiques. Dans celle de 1868, dans celle même de 1878, nous trouvons inscrits des auditeurs, mais pas un seul élève. En 1878, commencent à se montrer les premiers noyaux d’étudians, à Paris, à Lyon, à Bordeaux, à Montpellier ; l’année suivante, il en apparaît d’autres à Poitiers, à Douai, à Toulouse, ailleurs encore, et en moins de trois ans il n’est pas une seule faculté où il ne s’en soit formé. Rapidement ces noyaux s’affermissent et se développent, et ce sont aujourd’hui de solides formations. En 1888, la dernière année enregistrée par les statistiques, il y a eu dans les facultés des sciences et des lettres 3,693 étudians, 1,620 à Paris, 2,073 en province ; 1,335 dans les sciences, 2,358 dans les lettres.

Cette population nouvelle n’est pas une population fictive, inscrite seulement sur les registres. Dans ce gros chiffre de 3,700, chaque unité est réelle et vivante. Allez à la Sorbonne, non pas aux premiers plans, aux cours publics, mais plus avant, dans les conférences, dans les salles d’études, dans les bibliothèques, dans les laboratoires, partout vous trouverez autant d’élèves que de places. Toutes les cellules de la ruche sont occupées. Vous verriez semblable chose à Bordeaux, à Lyon, à Lille, à Montpellier, à Nancy, et jusque dans les facultés des plus petites villes.