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le résultat de cette opération diplomatique assez complexe, dont il pouvait rendre compte au conseil, au moment où il s’agissait de déterminer le cours à donner aux mouvemens militaires. Il avait d’autant plus de raison de s’en applaudir que c’était le premier succès de ce genre qu’il eût encore obtenu dans sa carrière ministérielle[1].

Il a fait lui-même, de ces transactions, dans ses Mémoires, un exposé très piquant, relevé par des portraits des petits souverains de l’Allemagne, qu’il trace avec une finesse acérée et où il déploie (singularité qui lui est habituelle) autant d’art pour peindre les hommes qu’il en manquait souvent pour traiter avec eux. Il s’agissait, comme il nous l’explique, de prendre un à un chacun de ces potentats au petit pied. Il en était dont le concours était acquis d’avance, comme l’électeur Palatin et le duc de Wurtemberg, restés fidèles à la France pendant toutes les épreuves des dernières campagnes. Il ne fallait pas non plus beaucoup d’efforts pour faire entendre raison aux princes ecclésiastiques des bords du Rhin, toujours Mayence excepté : car un intérêt évident les portait à écarter d’Allemagne une guerre dont leur territoire était le champ de bataille prédestiné et où ils ne pouvaient jouer (quel que fût le vainqueur) que le rôle de souffre-douleur ou de victimes. Le tout était de venir en aide à ces bonnes dispositions naturelles par des largesses offertes à propos et qui étaient bien rarement refusées, car quel intérêt aurait-on à bien faire (disait naïvement l’évêque de Cologne au résident de France), si on n’y gagnait pas quelque chose ? Mais une opération plus délicate était nécessaire pour s’assurer la voix de trois souverains qui avaient à la fois leur place marquée, comme électeurs, dans le collège suprême de la diète, et leur entrée dans le collège des princes, au titre de possessions diverses dont ils cumulaient les suffrages. J’ai dit ailleurs que c’était le cas des électeurs de Bavière et de Saxe et du royal, de l’illustre, du plus puissant que jamais électeur de Brandebourg.

De la Bavière, on sut bientôt qu’il n’y avait rien à espérer, et au contraire tout à craindre. Cette cour naguère si ambitieuse, qui s’était posée fièrement pendant des siècles comme la rivale de l’Autriche, semblait résignée maintenant à devenir, au contraire, son satellite. On eût dit que le suprême effort tenté par Charles VII avait tourné comme, pour la grenouille de la fable, l’essai d’imiter

  1. C’est dans cette négociation pour assurer la neutralité de l’Empire que M. d’Arneth, t. III, p. 259, croit reconnaître le dessein de former une confédération du Rhin, sous la protection de la France, tandis qu’une autre eût été formée au nord de l’Allemagne, sous la protection de Frédéric. — Je n’ai trouvé, dans les papiers de d’Argenson, aucune trace d’une idée semblable.