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larmoyante dont nous trouvons ici le premier échantillon, et qui ne devait pas tarder à s’introduire, avant la fin du siècle, même dans les documens politiques, on n’en découvre encore jamais la trace dans aucun des écrits marqués de l’empreinte caustique et cynique du conquérant de la Silésie. Aussi la seule pensée que l’incident en lui-même dût suggérer à Frédéric (s’il y donna un instant d’attention), c’est qu’à la veille d’une campagne qui pouvait être décisive pour son pays, un ministre perdait singulièrement son temps à prendre pitié des vaincus et à demander grâce pour des malheureux[1].


II

Toutes les tentatives pacifiques étant ainsi repoussées avec perte en Angleterre, aussi bien qu’en Autriche, il ne restait plus qu’à se résigner à la guerre et à donner le signal de la reprise des hostilités. Mais avant d’y procéder, plus d’une question importante était encore à résoudre. D’abord, sur quel terrain et en vue de quel but à atteindre allait-on engager la campagne ? Sur quel champ de bataille Maurice serait-il chargé de faire manœuvrer son armée victorieuse et aurait-il à conduire le roi, qui, cette année encore, tenait à l’accompagner ? Devrait-on se borner à achever la soumission déjà à moitié faite des Pays-Bas autrichiens, ou bien se résoudrait-on à passer enfin la frontière de la République ? Irait-on surprendre en Hollande, dans le travail de leur formation, les armées alliées qui s’y étaient donné rendez-vous, et leurs généraux qui y tenaient conseil ?

Le moment semblait venu de prendre ce parti décisif et de réparer ainsi (on le pouvait encore) le temps et les occasions perdues ; c’était l’attente commune. On ne tarda pas à savoir qu’elle allait être encore déçue ; car pour commencer et se rendre libre d’agir, la première chose à faire eût été de congédier les envoyés hollandais, ce qui était tout naturel, puisque leur intervention, si maladroitement acceptée au début, n’avait abouti à aucun résultat effectif. Leur correspondance fait voir que c’était bien là, en effet, ce qu’ils redoutaient l’un et l’autre ; aussi employaient-ils tout leur

  1. Voltaire. (Correspondance générale, Éd. de Beuchot, juin 1746.) — Les lettres de d’Argenson à Van Hoey et de Van Hoey au duc de Newcastle portent les dates de mars et d’avril, antérieures au renouvellement des hostilités de cette année 1746 ; mais la correspondance qui s’ensuivit entre Londres et La Haye, aussi bien que les manifestations hostiles dont cette intervention inopportune fut la cause de la part du public anglais, se prolongèrent pendant une partie notable de l’été, et ce ne fut qu’en juillet que Van Hoey, ayant écrit la lettre d’excuses qu’on lui avait imposée, fut maintenu définitivement dans sa situation. J’ai dû devancer un peu la suite chronologique des faits pour faire savoir tout de suite au lecteur comment fut terminé ce petit incident.