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pêle-mêle. — C’est qu’au Plessis, reprend Haly, je n’ai en garde que des suspects, des conspirateurs, des royalistes, des gens comme il faut, ressortissant tôt ou tard au seul tribunal révolutionnaire. » L’argument parut péremptoire.

Parfois les détenus font de tristes rencontres chez ces geôliers auxquels la nécessité les forçait de recourir plus souvent qu’ils n’auraient voulu. A Versailles, Mme Elliott apprend ainsi à connaître le bourreau : « Vous devez, ricane son geôlier, vous faire un ami de ce citoyen ; c’est le jeune Sanson, l’exécuteur, et peut-être sera-t-il chargé de vous décapiter. » Elle se sentit défaillir, surtout quand le bourreau lui prit le cou, un cou semblable à celui de Marie Stuart, sa compatriote, et dit : « Ce sera bientôt fait ; il est si long et si mince ! Si c’est moi qui dois vous expédier, vous ne vous en apercevrez même pas. » Un jour, comme elle demandait à ce gardien un peu d’eau chaude pour se laver : « Cela n’a pas le sens commun, murmura-t-il, rien ne peut vous sauver des mains du bourreau, et, comme elles sont fort sales, vous n’avez pas besoin de vous laver. »

Au-dessus des concierges apparaissent d’autres inquisiteurs, membres des commissions populaires, municipaux, administrateurs de police, interprètes des comités de gouvernement et de la Commune, presque toujours disposés à stimuler plutôt qu’à ralentir le zèle des gardiens. A Chantilly, l’un d’eux imagine d’ordonner aux dames de couper leurs cheveux et de recevoir des femmes sans-culottes dans leurs chambres. A la Folie-Renaud, Dupaumier réunit les détenus des deux sexes pour leur déclarer qu’il voudrait voir à la porte de chaque maison une guillotine permanente, et qu’il se ferait un plaisir d’y attacher lui-même avec son écharpe les condamnés. Le savetier Wiltcheritz, Polonais d’origine, répond toujours la même chose : « Patience, la justice est juste, la vérité est véridique, on te rendra justice ; ce durement ne peut pas durer. — Patience, répliqua quelqu’un, c’est la vertu des âmes et non celle des hommes ! — Tu n’es donc pas républicain ? » répondit-il. Chacun de rire, et lui plus fort que les autres, car il pensait avoir dit une chose fort spirituelle. Quant à Marino, homme insolent, brutal et grossier, chacune de ses visites a pour résultat un redoublement de rigueurs ; il ne se sent pas d’aise en annonçant aux prisonniers que la Commune leur interdit toute communication avec le dehors, et va établir l’égalité de table entre le riche et le pauvre, le tout, bien entendu, aux dépens du premier. Il voulait même que les pailleux allassent occuper la place des détenus à la pistole et réciproquement : on le détourna de ce projet en lui représentant que la paille se composait surtout de criminels, de voleurs,