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n’y puis consentir. » Cet appel à la fierté castillane ne pouvait manquer de trouver de l’écho. Ceux mêmes qui ne prenaient qu’un intérêt médiocre aux convoitises maternelles d’Élisabeth s’indignèrent à la pensée que le roi de France s’était joué de leur souverain. « Aussi, dit d’Argenson, la nouvelle fut reçue à Madrid comme l’un des plus grands malheurs qui auraient pu tomber sur la monarchie de Castille : elle fut d’abord ébruitée, tout se couvrit de sac et de cendre, et l’orage fut affreux contre les Français[1]. »

Dans de telles dispositions, si Vauréal eût insisté, comme ses instructions le lui commandaient, pour une réponse immédiate, il n’eût obtenu qu’une négation absolue et hautaine. Il prit sur lui de temporiser, même un peu au-delà du terme qui lui était assigné ; mais au bout de quelques jours, comme il s’étonnait de ne recevoir aucune communication, il apprit qu’il n’en avait point à attendre. Le roi d’Espagne prenait le parti, sans prévenir l’ambassadeur, de faire porter sa réponse au roi de France par un envoyé extraordinaire choisi parmi les grands de sa cour, le duc de Huescar. La reine se vantait tout haut du bon tour qu’elle jouait ainsi à Vauréal : « Je l’ai bien attrapé, » disait-elle. Peut-être pas tant qu’elle le croyait : l’habile homme, après avoir essuyé le premier feu, n’était peut-être pas fâché de laisser suivre ailleurs une affaire qui commençait si mal et pouvait plus mal finir.

La lettre de Philippe V à son neveu ne manquait ni de dignité ni d’adresse. Tout en insistant sur les engagemens pris à son égard et le déshonneur d’y manquer, il ne se bornait pas à faire appel à la foi jurée, il discutait la situation politique avec des considérations qui avaient leur valeur. Était-ce à la France victorieuse en Flandre et en Italie à céder ainsi, sans le disputer, le terrain qu’elle venait de conquérir ? Était-ce à la tête d’une année de quatre-vingt-dix mille hommes qu’il fallait signer une paix honteuse ? Quant au motif tiré de la défection du roi de Prusse, ce ne pouvait être qu’un prétexte, puisque la négociation était engagée et même déjà conclue à Turin avant qu’on y eût eu la nouvelle de la paix de Dresde : — « Je ne puis donc penser, disait le roi, que ce soit Votre Majesté qui se soit déterminée à de pareilles choses, qui ne répondent nullement à l’amitié qu’Elle veut bien avoir pour moi et pour ma maison. C’est sans doute un outrage de qui serait bien aise de nous voir mal ensemble. Que Votre Majesté me permette qu’en même temps que je le reconnais pour le chef de notre maison, je prenne la liberté, comme le plus vieux, et par conséquent plus expérimenté qu’un autre, par les conjonctures épineuses où je me suis trouvé,

  1. Mémoires et Journal de d’Argenson, t. IV, p. 294.