Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/568

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Meudon, un territoire situé, par portions à peu près égales, sur le département de la Seine et sur le département de Seine-et-Oise. A quelques mètres près, les murailles de clôture entourent neuf cents hectares, plaine et colline. En bas on a élevé une maison de retraite pour les frères de la doctrine chrétienne ; sur la hauteur on a construit un orphelinat ; on communique facilement de l’une à l’autre, tous deux sont contenus dans la même enceinte. Les vieux arbres ont été conservés, les pelouses verdoient au soleil, une longue avenue permet les promenades ombragées, un ruisselet, bordé de glaïeuls et d’iris, coule en chantant sous un pont rustique ; de grands tilleuls trop élagués forment une sorte de bois sacré propice à la méditation ; comme d’un belvédère choisi avec discernement, la vue découvre le panorama de Paris enveloppé de brumes que perce la flèche des églises et que dominent en ce moment certaines constructions de l’Exposition universelle. C’est un parc admirable ; la duchesse de Galbera l’a offert à des instituteurs primaires blanchis sous la soutane et à des orphelins dérobés à la misère.

La maison de retraite est exclusivement réservée à ces braves ignorantins, qui ont rendu tant de services au « pauvre commun » de France et qui obéissent encore à la règle que leur donna leur fondateur à la fin du XVIIe siècle. L’impulsion fut vive et féconde ; elle vibre toujours et prouve ainsi l’utilité de l’œuvre qui a été si fortement conçue, si solidement édifiée, que ni le temps, ni les révolutions n’ont pu l’ébranler. Les assises sur lesquelles elle repose sont l’intelligence supérieure de l’homme qui en a jeté les fondemens et les besoins d’une population qui voulait échapper à ses propres ténèbres. Jean-Baptiste de La Salle était né à Reims le 30 avril 1651, fils d’un conseiller au présidial et issu de bonne famille, à la fois de robe et d’épée. Il se sentit de bonne heure appelé par l’église, entra au séminaire de Saint-Sulpice, à Paris, et fut ordonné prêtre en 1672. Sa vocation spéciale fut déterminée par le legs pieux d’un chanoine qu’il vénérait, l’abbé Roland, qui en mourant lui recommanda une congrégation de religieuses qu’il avait fondée et dont la mission devait être de se consacrer à l’enseignement des orphelins.

Est-ce bien sa vocation qu’il faut dire ? Son devoir serait plus exact. Ce fut, en effet, presque à son cœur défendant qu’il accepta la tâche qui lui fut imposée de surveiller des maîtres d’école, de les diriger par ses conseils, de les façonner à leurs fonctions et de devenir ainsi une sorte d’instituteur en chef, initiant le professeur à l’art si difficile de la pédagogie. Il hésita avant de se consacrer sans réserve à l’apostolat dont le but était d’éclairer les cervelles