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tous les matins. Aux observations à la fois douces et ironiques qu’on lui adressait, elle répliquait : « C’est plus fort que moi, je ne puis pas m’en empêcher ; quand je n’ai pas ma poudre de riz, il me semble que je suis toute nue. » On la laissa faire et l’on fit bien. Une autre réclamait, et réclamait avec mauvaise humeur, un petit verre de chartreuse après chacun de ses repas, parce qu’elle en avait l’habitude et qu’elle ne pouvait « s’en passer ; » elle s’en passa.

Bien souvent chez la femme, même lorsque la volonté est abolie, l’entêtement subsiste. Elle marche imperturbablement vers son but ; rien ne l’en détourne : ni les obstacles, ni les objurgations, ni les menaces, ni les prières. Elle va, elle va, un peu à la façon des hallucinés, ne voyant rien que ce qu’elle veut voir. Si l’on se refuse à lire ses lettres, elle les multiplie ; si l’on ne consent pas à l’écouter, elle crie pour être entendue ; vingt fois, cent fois, avec une sorte d’inconscience morbide, elle revient à la charge dans l’espoir d’obtenir, n’importe par quels moyens, ce qu’elle sait cependant qu’on ne lui accordera pas. Elle s’expose aux avanies, aux rebuffades, avec une persistance qui parfois fait douter de son intégrité mentale. Malgré tout, l’illusion ne peut mourir en elle. Bien souvent, au cours de sa vie, elle a lâché la proie pour l’ombre et elle a eu cruellement à s’en repentir. Cela n’y fait rien. On dirait qu’elle a le vertige du déboire et qu’elle y court, poussée par une sorte d’instinct naturel. Ces caractères-là ne sont pas très rares parmi les vieilles femmes admises dans les maisons hospitalières. Ce n’est pas du jour au lendemain que ces créatures sans pondération s’accoutument à la vie réglée, à la discipline, à certaines privations qui, entre toutes, leur sont pénibles. Sous ce rapport, elles mettent en pratique la boutade : « Il n’y a de nécessaire que le superflu. » Pendant l’hiver dernier, une Anglaise, arrivée depuis peu de jours à Paris, fut atteinte de variole maligne ; on ne put la garder dans l’hôtel garni où elle avait pris logement, on la transporta à l’hôpital Saint-Antoine ; elle y fut soignée et guérie. Chaque jour elle demandait un verre de gin, qui, naturellement, lui fut refusé, car le médecin qui la traitait ne pouvait risquer d’aggraver la maladie ni d’entraver la convalescence. Une fois retournée en Angleterre, elle écrivit dans les journaux de son pays que le système des hôpitaux parisiens était barbare et que les Français composaient une nation de sauvages. C’est pousser un peu loin la rancune du genièvre.

Flétrie par l’âge et par la longue misère que trop souvent il a fallu supporter avant de trouver place dans un asile, la femme tombée en hospitalité cherche à abuser les autres et finit par s’abuser