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résigne. Pour ces motifs, qui sont d’ordre moral, les vieillards sur lesquels l’hospice Ferrari a refermé ses portes secourables témoignent d’une docilité exemplaire.

Une seule fois on s’est trouvé en présence d’un de ces esprits rétifs que ni la misère ni la bienfaisance n’ont pu dompter. Il devait avoir ces goûts de vagabondage qui deviennent une passion et parfois même une impulsion irrésistible. Le bonhomme était de nature irascible ; la discipline et la privation de liberté sans contrôle l’avaient exaspéré ; il ne rêvait que vengeance. Contre qui ? Contre ceux qui lui avaient nui au cours de sa vie ? Non pas : contre ceux qui soignaient sa vieillesse et l’arrachaient au dénûment. Non-seulement cet insurgé de l’hospitalité se plaignait de tout : de la nourriture, qui ne lui convenait pas ; du vin, qui était mesuré avec trop de parcimonie ; de la maison, qui était trop neuve ; des sœurs, qui étaient trop pieuses ; de ses camarades, qui étaient trop bêtes, mais il menaçait de faire appel, dans les journaux, à « l’opinion publique, » et il écrivait : « Sachez que j’ai des pilules pour empoisonner tout le monde. » Au lieu de mettre cet énergumène à la porte et de le faire diriger sur Bicêtre, section des agités, on pensa à l’existence lamentable qui l’attendait hors de l’hospice et l’on en eut pitié. La supérieure le fit venir et le morigéna. Avec le charme pénétrant de l’intelligence féminine, elle attendrit cette âme rebelle ; à cet homme, qui jurait mort et massacre, elle parla de sa vie passée, elle montra les affres de la vie vers laquelle il semblait vouloir retourner, elle l’émut et reçut le serment de ne jamais plus s’abandonner à des billevesées coupables ; il a tenu parole, et depuis lors il est en repos. Il est possible que le diable n’y perde rien, mais du moins il ne le laisse point paraître.

Chez la femme, la révolte est si rare, qu’on peut dire qu’elle n’existe pas ; en revanche, le murmure est permanent, et les exigences sont parfois déraisonnables. Bien plus que l’homme, la femme a vécu d’illusions et de rêvasserie ; aussi, chez elle, la déception est plus profonde, plus amère surtout, et n’a rien enlevé aux prétentions, qui subsistent parfois jusque dans la caducité. Une actrice de trentième ordre, morte aujourd’hui, avait été une des premières pensionnaires de la maison Ferrari. C’était une bonne femme, empressée à se soumettre, point encombrante malgré ses jupes qu’elle faisait bouffer plus que de raison. Elle alla se confesser, mais en plusieurs fois ; comme on le lui reprochait en souriant, elle répondit : « Ce pauvre aumônier, je ne veux pas le fatiguer ; j’en ai tant à lui dire, et puis ça me fait mal aux genoux. » Elle ne se plaignait de rien, celle-là, et trouvait tout à sa convenance, mais il fut impossible de l’empêcher de se « maquiller »