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ayant vécu au milieu des misères humaines, les connaissant, en ayant pitié, s’ingéniant à les secourir par impulsion naturelle autant que par devoir, indulgente à force d’expérience, et gaie comme la plupart de celles que leur vocation entraîne au soulagement actif de l’infortune. Pendant qu’elle me parlait de ce grand domaine de charité qu’elle est fière de gouverner, pendant qu’elle m’expliquait que chaque mois elle rend des comptes détaillés au conseil d’administration, je la regardais et j’étais frappé de la vivacité de son esprit, de l’entrain de sa parole, je retrouvais en elle tous les signes qui indiquent l’amour de l’œuvre entreprise et le désir d’en étendre le bienfait au plus grand nombre possible de malheureux. C’est là ce qui les tourmente toutes, ces sœurs hospitalières que j’ai vues dans tant de maisons secourables ; la suprême jouissance qu’elles cherchent en ce monde, ce serait de pouvoir accueillir tous ceux qui souffrent, consoler tous ceux qui pleurent, relever tous ceux qui tombent. Pour les admirer et les vénérer, il n’est pas nécessaire d’avoir la foi ; la bonne foi suffit d’où naît l’esprit de justice. Le costume des Filles de la Sagesse est plus austère, j’allais dire plus triste, que celui de bien des congrégations de femmes : un corsage à courtes basques, un jupon plissé, taillés, tant bien que mal, dans une grossière étoffe de laine grise, sont un peu égayés par le tablier blanc dont la bavette remonte jusque près du cou ; le rosaire pend à la ceinture ; la cornette aux ailes éployées couvre la tête, où nulle trace de chevelure ne se laisse deviner ; de fortes chaussures enserrent les pieds, toujours en marche pour le bien ; un crucifix, qui m’a semblé lourd et trop volumineux, est enfoncé dans la bavette, comme une arme défensive qui protégerait le cœur contre l’attaque des pensées douteuses.

Lorsque j’ai visité l’hospice Ferrari, au mois de mai 1889, la maison ne contenait que 64 pensionnaires, dont quatre ménages : 30 femmes et 34 hommes ; on attendait, et l’on se préparait à recevoir 20 nouveaux-venus. Peu à peu le recrutement se fera, car ce ne sont pas les demandes d’admission qui font défaut, et le chiffre de 100 vieillards désigné par la donatrice sera atteint. Dès lors la population privilégiée sera au complet, et des vacances seules permettront de faire place aux postulans. Pour conduire ce troupeau enfin abrité dans le bercail, après les heurts de l’existence, neuf sœurs suffisent, dont plusieurs exercent des fonctions déterminées à la lingerie, à l’infirmerie, à la cuisine. La discipline m’a paru fort douce, appropriée à de pauvres êtres auxquels la destinée n’a pas été clémente, et elle est acceptée avec déférence.

Là, comme en toute maison mixte où les deux sexes sont hospitalisés dans des quartiers séparés, j’ai remarqué que les