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charitables, voulu s’excuser du luxe de leur propre vie ; ont-ils rêvé d’associer les pauvres à des jouissances jusqu’alors inconnues pour eux ? Je ne sais. Ce problème, assez insignifiant par lui-même, je me le suis posé sans pouvoir le résoudre, en étudiant les œuvres somptueuses dont je vais parler.


I. — LA DUCHESSE DE GALLIERA.

D’origine génoise, la duchesse de Galliera était de haute lignée. Elle était issue par sa naissance de la maison de Brignole-Sale, à qui les illustrations n’ont point manqué. Par les lignes collatérales de ses ascendans, elle appartenait aux Spinola, aux Durazzi, aux Grimaldi. Elle eût pu se composer une galerie avec les portraits de ceux de ses aïeux qui avaient été doges et auxquels, à l’expiration de leur mandat, on était venu dire, selon l’invariable formule : Come vostra serenita ha fornito suo tempo, vostra excellenza se ne vadi à casa[1]. Ses alliances avec l’aristocratie d’Europe étaient nombreuses et lui ouvraient la porte de tous les palais souverains.

Son père, alors que le Piémont faisait partie de la France, fut conseiller d’état du premier empire. Plus tard, pendant la restauration, il revint à Paris en qualité d’ambassadeur du roi de Sardaigne Charles-Félix. Les hommes qu’il avait fréquentés au temps de sa jeunesse, pendant le règne de « l’usurpateur, » l’accueillirent avec empressement. Était-il Sarde, était-il Français ? on ne s’en informait guère ; en lui on ne voyait, on ne voulait voir qu’un compatriote intelligent, aimable, très fin malgré la bonhomie de ses allures, dévoué à ce qu’on appelait alors les bons principes, dévot sans bigoterie et sachant atténuer par une courtoisie parfaite l’esprit d’opposition parfois acerbe des Génois. Les Pasquier, les Molé, les Broglie, étaient de son intimité. Son titre et ses fonctions de ministre plénipotentiaire d’un souverain ami et parent du roi de France lui interdisaient des critiques trop vives, mais en petit comité, avec ses amis d’élection, il déplorait le mouvement rétrograde qui repoussait les Bourbons vers des aventures redoutables. Si aux hommes éminens que je viens de nommer, on ajoute la fleur de la diplomatie, du faubourg Saint-Germain et de la littérature, on aura une idée de ce salon qui a laissé des souvenirs et dont la fille aînée du comte Brignole-Sale faisait les honneurs. Elle était fort adulée ; plus d’un jeune homme, bien en cour, portant un nom inscrit à l’armorial de d’Hozier, a dû regarder vers elle et rêver de

  1. « Comme Votre Sérénité a fini son temps, que Votre Excellence retourne en sa maison. »