Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/500

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rive gauche (un petit corps conduit par Druhot), « la fausse attaque, » et comme le tumulte de la cavalerie cherchant un passage dans les fourrés avait frappé son oreille, il pensa que les colonnes de droite et de gauche n’étaient que des ailes volantes, et que M. le Prince cheminait avec son gros au travers des marais. Les premiers rapports reçus des régimens bousculés ne le détrompent pas ; il persiste à croire qu’il n’était passé qu’un détachement de peu d’importance et continue d’attendre. Quand il se décide à rallier son monde et à regagner son camp, le jour allait paraître, et le maréchal découvrit 4,000 chevaux en bataille sur les glacis et le chemin couvert, au pied de la citadelle de Cambrai. Il ne demanda pas le nom de « celui qui était là, » donna aussitôt l’ordre de charger le bagage, d’atteler les pièces, commença sa retraite et ne s’arrêta qu’à Saint-Quentin.

Le secours de Cambrai, entrepris avec audace, dans les circonstances les moins favorables, exécuté avec précision et un succès complet, déconcertait les plans de Turenne, rejeté en Picardie. L’impression sur l’esprit des peuples fut considérable ; tout le pays wallon tressaillit de joie, retentit d’acclamations en l’honneur de Condé. Une médaille fut frappée à l’image de Notre-Dame-de-Grâce, objet de la vénération du Cambrésis ; au revers, la figure de la ville, avec cet exergue : Condeo liberante.

Mais ce ne fut qu’un répit. On laissa à Turenne le temps de se recueillir, de reprendre ses combinaisons de marches et d’opérations ; manœuvrant tout le long du front de bataille, il prit Montmédy en Luxembourg, et Saint-Venant en Artois. M. le Prince avait beau pénétrer les desseins du maréchal, don Juan laissait toujours passer le moment d’exécuter les projets de Condé. Rien ne put arracher les généraux espagnols à leur solennité, secouer leur torpeur. Un coup de main sur Calais, où l’on serait entré à marée basse, comme jadis le duc de Guise, échoua pour deux heures de retard. Boutteville seul eut la chance de réussir dans une attaque de convoi, qu’il transforma en brillant combat. A la fin de l’année, Turenne avait fait sa jonction avec les Anglais ; la prise de Mardick était le préliminaire de l’attaque de Dunkerque. L’agonie militaire du prince rebelle avait commencé.


HENRI D’ORLEANS.