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le mode d’importation et d’exportation des marchandises ; substituer une méthode unique de classification et d’évaluation, un système unique de factures, aux usages particuliers à chaque État ; garantir par des lois uniformes la protection des brevets et des marques de fabrique ; réglementer par un mode commun de procédure l’extradition des criminels, tel est l’ensemble des mesures préparées par M. Blaine et qu’il se propose de soumettre aux délibérations du Congrès. Si vaste que soit ce plan, il est, dans une certaine mesure, de nature à séduire les délégués. S’il a, contre lui, l’évidente contradiction des intérêts, l’importance et la multiplicité des questions soulevées, dont une seule suffirait à absorber l’attention d’un congrès, il a pour lui la grandeur du rôle des négociateurs, l’occasion, à eux offerte, d’illustrer leur nom par une œuvre considérable, l’incontestable utilité de quelques-unes des solutions suggérées et possibles.

D’autre part, on hésiterait à croire qu’un homme aussi intelligent et pratique que le secrétaire d’état de la république s’illusionnât au point de tenir pour réalisable la fédération douanière dont il recommande l’adoption, si l’on n’avait vu souvent les esprits les plus lucides se leurrer d’espérances chimériques, et la grandeur du but entrevu leur voiler les obstacles à surmonter. M. Blaine espère-t-il sérieusement mener à terme l’œuvre entreprise par lui, fermer l’Amérique à l’Europe et la rendre tributaire des manufactures des États-Unis, ou bien, satisfait d’avoir posé les premiers jalons, d’avoir resserré les liens et préparé l’avenir, entend-il laisser au temps et aux événemens le soin de la compléter dans la mesure réalisable ? De ces deux hypothèses, la première semble la plus probable, étant donnés l’homme et son impatiente ardeur ; la seconde est plus vraisemblable, étant données les difficultés de toute sorte qui se dresseront sur sa route.

Grouper en un faisceau compact autour de la grande république dix-sept états d’origine, de langue, de traditions et de mœurs autres, et cela au nom d’une idée grande et séduisante en apparence, étroite et décevante en réalité ; les amener à sacrifier leurs intérêts immédiats au rêve irréalisable d’une nationalité continentale ; aller à l’encontre de leurs instincts d’expansion en leur demandant de restreindre d’eux-mêmes un commerce croissant, de s’interdire leurs meilleurs débouchés, de renoncer à un marché de 347 millions de consommateurs européens pour y substituer celui de 50 millions de producteurs que leur offrent les États-Unis, semble une tâche impossible. Dépouillée des artifices de langage, des sophismes brillans, du mirage trompeur dont il a su la parer, telle ne saurait manquer d’apparaître la conception de