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million d’hommes et des milliards pour cimenter l’Union américaine. Aujourd’hui, en pleine possession d’elle-même, consciente de ses forces, de son nombre et de ses richesses, elle attend l’heure qui doit sonner et l’homme en qui s’incarnera le rêve qui la hante.

Rêve jusqu’ici flottant et indécis ; rêve sans contours arrêtés, sans corps tangible, que James G. Blaine a fait sien, auquel il a insufflé la vie en le précisant et le formulant. Avec une rare habileté il a su lui donner la consécration du temps, le rattacher au passé, l’entourer d’une patriotique auréole. À le poursuivre, à le réaliser, la république ne fait, semble-t-il, que suivre la voie tracée par ses ancêtres, que réaliser sa manifest destiny, sa mission providentielle, entrevue par James Monroë et proclamée par lui dans un message célèbre.

« L’Amérique aux Américains, » avait-il dit on J823. Phrase sonore et vague qui vibrait encore dans toutes les mémoires, mot d’ordre de l’avenir, dont l’écho se répercutait à travers le temps, outrepassant la pensée qui l’avait dicté et qui n’allait pas alors au-delà de la reconnaissance d’un fait accompli : l’indépendance des républiques espagnoles. Encouragé par l’Angleterre, poussé par lord Castlereagh, qui voyait avec déplaisir la sainte alliance entreprendre de restituer à l’Espagne quelques-unes de ses colonies du Nouveau-Monde pour prix de son concours dans la lutte gigantesque contre l’empereur Napoléon, Monroë protestait contre toute velléité d’intervention de l’Europe sur le continent américain.

« L’Amérique aux Américains, » répètent à plus d’un demi-siècle d’intervalle M. Blaine et le parti républicain : c’est-à-dire la fédération des trois Amériques groupées sous l’égide des États-Unis, ralliées autour de l’état le plus populeux, le plus riche et le plus puissant de cette ligue amphictyonique de 150 millions d’habitans détenteurs de 41 millions de kilomètres carrés, du plus fertile des continens : c’est-à-dire ce continent fermé aux produits européens, ouvert aux produits des manufactures de la grande république monopolisant à son profit un marché chaque année plus important, décuplant, avec son outillage, sa production industrielle, s’enrichissant sans efforts, absorbant l’or et l’argent du Mexique et du Pérou, de la Bolivie et de Costa-Rica, de l’Equateur et du Venezuela, fabriquant pour tous, vendant à tous.

Puis, comme corollaire : l’Angleterre à demi ruinée et l’Europe appauvrie, hors d’état de lutter contre des tarifs exorbitans ; les États-Unis occupant, sans conteste, le premier rang parmi les nations commerciales ; New-York devenant le premier port du monde, le marché financier de l’Amérique entière ; le