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fin de sa vie à ses premières années. Platon surtout le charme, Platon, qui a connu le Dieu véritable, « l’auteur de toutes les choses créées, la lumière de toutes les intelligences, la fin de toutes les actions, » et qui a presque trouvé, pour le définir, le mot des livres saints : « Je suis celui qui suis. » Il a dit que « philosopher, c’est aimer Dieu[1], » et que le bonheur de l’homme consiste à jouir de lui « comme l’air jouit de la lumière. » De tous les philosophes de l’antiquité, c’est celui qui s’est le plus approché du christianisme. Il y a même parfois touché de si près que saint Augustin se demande comme il a pu faire. A-t-il eu quelque connaissance des livres saints des Hébreux ? « ou faut-il croire que la force de son génie l’a élevé, de la connaissance des ouvrages visibles de Dieu, à celle de ses grandeurs invisibles ? » Saint Augustin semble pencher vers la première réponse ; mais il nous laisse libres d’adopter la seconde, qui est la véritable.

Après Platon, il s’occupe de ses disciples, surtout de Plotin et de Porphyre. Porphyre fut un des plus violens ennemis du christianisme. Il l’avait combattu dans un ouvrage célèbre, dont les docteurs de l’Eglise ne parlent jamais qu’avec horreur, ce qui prouve à quel point il leur semblait redoutable ; et pourtant il lui a rendu le plus grand de tous les hommages en essayant de l’imiter. Les néo-platoniciens, ses disciples, ont tenté de rajeunir le vieux paganisme ; ils ont voulu en faire une religion qui échappât aux reproches qu’on adressait à l’ancien culte, et pût donner aux âmes les satisfactions qu’elles allaient chercher ailleurs. Cette religion a des dogmes qu’elle emprunte aux systèmes des philosophes ; elle prétend enseigner la morale ; au moins elle en parle quelquefois aux initiés, dans le secret des mystères. Les oracles y tiennent la place des prophéties, les Démons celle des anges. On y pratique la purification de l’âme, non par la prière et la pénitence, comme chez les chrétiens, mais par des opérations secrètes et des formules mystérieuses. Voir Dieu, s’unir à lui et vivre en lui est le but de tous les croyans. « La vision de Dieu est si belle et si enchanteresse, dit Plotin, que, sans elle, fût-on comblé de tous les biens, on est nécessairement malheureux. » On y arrive par l’extase, et mieux encore par les enchantemens et les sortilèges. Voilà la porte ouverte à ce qu’on nommait alors par euphémisme la théurgie, et qui, de son nom véritable, s’appelle la magie. Comme la magie était suspecte au pouvoir et proscrite par les lois, Porphyre est fort embarrassé quand il veut en parler ; il voudrait bien laisser croire qu’il ne conseille pas au sage d’y

  1. Remarquons en passant que les théologiens chrétiens qui ont voulu soutenir que les païens n’avaient jamais connu l’amour de Dieu se trouvent ici contredits par le témoignage de saint Augustin.