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leur parti que par leurs adversaires, les théologiens païens déclarèrent qu’il ne fallait pas les prendre à la lettre : c’étaient des images, des allégories, qu’on devait interpréter ; grâce à ces interprétations, si on les faisait avec adresse, on pouvait arriver non-seulement à rendre ces légendes entièrement innocentes, mais à en tirer de très sages et très sérieuses leçons. Ils essayaient aussi de rendre raison de chacun de leurs dieux en le rapportant à quelque partie du monde dont il était la personnification. De cette façon il arrivait que, comme ces dieux représentaient les morceaux d’un grand tout, on pouvait, en les réunissant, refaire l’ensemble entier, c’est-à-dire recomposer l’unité divine. C’est ainsi qu’avec les mille dieux de la fable on aboutissait à un dieu unique. Ce travail s’accomplit avec une habileté, une souplesse, une fécondité de ressources merveilleuses ; par malheur, chacun le fit à sa manière. Il n’y en eut aucun, parmi ces sages, dont l’autorité s’imposât aux autres. Au contraire, comme ils étaient ingénieux et subtils de nature, et qu’ils aimaient à le faire voir, tous tinrent à se séparer de leurs prédécesseurs et à donner des solutions nouvelles. Puis vint un lourd Romain, un compilateur consciencieux, le docte Varron, qui tint à rassembler toutes ces opinions différentes et ne fit grâce d’aucune. En les réunissant, il en fit mieux ressortir la diversité et fournit à saint Augustin l’occasion de montrer que ce grand effort des théologiens du paganisme n’avait réussi qu’à faire mieux voir qu’il leur était impossible de s’entendre[1].

Cette première tentative avait été surtout l’œuvre des stoïciens. Dans la suite, il y en eut d’autres bien plus importantes qui sortirent de l’école platonicienne. Saint Augustin, qui les expose et les combat, se trouve amené à nous parler de Platon et de ses disciples, et il le fait avec une sympathie dont nous sommes d’abord un peu étonnés. Il les avait beaucoup aimés dans sa jeunesse[2] ; mais plus tard, entraîné par l’ardeur de ses convictions, par la violence des luttes qu’il livrait contre les ennemis de sa foi, peut-être aussi pour parler en évêque et soutenir le rôle qu’il jouait dans l’Église, il crut devoir se montrer sévère à la philosophie et aux philosophes. Ici, il s’est tout d’un coup radouci, l’âge a calmé toutes ces passions de dispute ; il parle des anciens sages sans ironie, avec une impartialité sereine, et semble ainsi rejoindre la

  1. On aurait pu répondre à saint Augustin que les théologiens catholiques non plus ne s’entendent pas dans la façon dont ils interprètent la Bible, quand ils y cherchent des sens allégoriques. Chacun a la liberté d’y voir ce qu’il veut, et il arrive à saint Augustin lui-même, quand il reprend les mêmes passages, de les interpréter diversement. Il est vrai qu’avant d’y chercher des significations allégoriques le chrétien est tenu de croire à la réalité matérielle du fait, tandis que le théologien païen n’explique une légende que pour la détruire en l’interprétant.
  2. Voir, dans la Revue du 1er janvier 1888, l’étude sur la Conversion de saint Augustin.